Mercredi 4 juin 2008, par Nadine Pochez

Valérie Lemaître

Valérie Lemaître souhaite une revalorisation des productions artistiques belges. Tant mieux ! Notamment : ll Cortile au ZUT en juin, les festivités cannoises, un projet de série télé alléchant, une résidence au Public…

Valérie Lemaître souhaite une revalorisation des productions artistiques belges. Tant mieux ! Notamment : ll Cortile au ZUT en juin, les festivités cannoises, un projet de série télé alléchant, une résidence au Public…

Vous assurez la mise en scène de Il Cortile au ZUT du 5 au 27 juin. « Une carte blanche à la jeune création », mentionne le flyer. D’où vient le projet ?

En novembre 2007, SteveDriesen me contacte pour me faire lire une pièce afin de m’en proposer la mise en scène au ZUT. J’avais déjà eu l’occasion de voir Il Cortile aux Brigittines en 2004. La mise en scène était alors assurée par l’auteur et sa compagnie. C’est un texte tellement magnifique que même sans un salaire, j’ai accepté l’engagement.On travaille gratuitement. Nous disposons de 1500 euros pour réaliser une scénographie et des flyers. Nous gagnerons de l’argent à la participation. C’est un projet qui se fait avec le cœur et non pas pour l’argent. Il Cortile raconte superbement l’histoire de 3 hommes abandonnés par la société. Echoués dans une cour [1] pleine de déchets et d’immondices, Pepe (Steve Driesen), Tano (Nicolas Ossowski) et Untel (Youssef Khattabi) – vont ressasser leurs souvenirs et leurs rêves.
Le monde extérieur est complètement perdu. Ces 3 hommes vont s’accrocher à ce qui reste de l’Humanité. Parler, se souvenir, exister, c’est probablement tout ce qui leur reste.

L’auteur, Spiro Scimone est sicilien. Comme moi, il est auteur et comédien. Son univers est très contemporain.
D’abord parce que sa langue s’adresse au plus grand nombre de façon poétique et universelle, ensuite parce que les êtres qui peuplent ses pièces sont pour la plupart des exclus, des laissés pour compte, des êtres sacrifiés, bafoués par la famille, par les patrons ; des petites gens dont personne ne se soucie et que la société a mis de côté parce qu’ils ne cadrent pas avec l’idée matérialiste et consommatrice de notre époque.
Dans le travail nous avons exploré la condition des SDFS qui peuplent nos villes. Pour moi c’est la première image très forte qui se dégage de ce texte. La survie dans la rue, la recherche de nourriture, la faim, les coups, la pénurie, le froid, le regard des autres, la saleté, les maladies, la solitude extrême, l’humiliation, la pitié, le vieillissement prématuré…

Avec ses répétitions, ses silences, son rythme, ses situations surréalistes qui renvoient au réel, ses alternances tragi-comiques, et finalement son souffle terriblement humain, l’écriture de Spiro Scimone est une excellente « matière à jouer ». D’instinct, je l’ai traitée comme une comédie italienne parce que je pense que la pièce est écrite comme cela ; Scimone est un acteur et il a le rythme des mots dans la peau. Son intention est, je crois d’utiliser le rire pour ne pas tomber dans le pathétique d’une situation qui finalement ne nous ferait pas plus réagir que les nouvelles terribles qu’on apprend le matin à la radio. Le rire a plusieurs vertus : il déplace les foules et il est terriblement corrosif quand il peut. Il aide à la prise de conscience en restant actif, il facilite la lecture des images et des situations tragiques.
L’alternance tragi-comique reste pour moi la meilleure des représentations de notre condition humaine.
La traduction du texte par Jean-Paul Manganaro est excellente. Elle sent encore l’Italie, la Sicile.
Le spectacle dure une heure et j’espère pouvoir apporter aux spectateurs une prise de conscience, si infime soit-elle, sur la condition humaine...

Aviez-vous déjà travaillé au ZUT ?

Non, c’est la première fois. J’ai pu voir certaines de leurs productions et leur démarche me plaît beaucoup. Malgré l’enthousiasme des critiques par rapport à son travail, Georges Lini ne dispose d’aucun moyen financier. Il Cortile sera leur dernier spectacle dans le lieu originel du ZUT. Ce qui est symbolique par rapport au thème de la pièce : un lieu abandonné des hommes. La saison prochaine, le théâtre s’établira au 210.

Vous êtes une comédienne polyvalente. Vous pratiquez la danse, la mise en scène, l’écriture au théâtre comme au cinéma, et même l’enseignement.

J’aime beaucoup l’enseignement. Mais, je préfère le pratiquer de façon sporadique. La matière enseignée aux élèves provient de ce que j’apprends sur le terrain. Je trouve judicieux, tout comme pour la mise en scène, de pouvoir exercer des deux côtés. L’enseignement au sein de Parallax me convient donc car il s’agit de modules de trois mois à chaque fois.
J’aime aller et venir dans les différentes disciplines. Mon parcours est atypique : j’ai commencé l’Université et le Conservatoire simultanément. Très tôt, j’ai eu la grande chance d’être engagée au théâtre. Parallèlement, j’avais repris des études au Centre d’Études Théâtrales à Louvain-la-Neuve. La danse contemporaine a toujours fait partie de ma vie. Enfin, à 27 ans, j’ai commencé l’écriture. Les histoires des gens et du monde me fascinent. J’aime les raconter sous des formes humoristique et surréaliste. Ma première pièce fut Kontainer Kats
Pour le cinéma, j’ai coécrit un scénario de court-métrage avec Martine Doyen, et enfin, un long-métrage Komma
 [2], coécrit avec elle encore.
J’ai toujours senti qu’exercer le métier de comédienne uniquement, ne me suffisait pas.

Vous avez une activité de prédilection ?

Non, car j’aime à faire des allers et retours dans ces différentes disciplines. Jouer fera toujours partie de ma vie : c’était mon premier rêve de gamine. Mais, je suis une boulimique de travail. Quand je ne crée pas, j’ai l’impression de ne pas exister. Le métier de comédien est fait de moments de creux. Multiplier les tâches m’est toujours apparu comme la solution.

Vous avez œuvré avec Pietro Pizzuti, Patrick Descamps, Frédéric Dussenne, au Rideau, au Varia, à Villers-la-Ville,…. Vous avez également tourné en France l’an dernier avec le spectacle Ladycrackers au sein duquel vous dansiez et chantiez… Dans vos multiples expériences de scène, quelle est celle dont vous garderez un souvenir impérissable ?

J’ai eu la grande chance de jouer dans Le Quatuor d’Alexandrie au Festival in d’Avignon en 2002 sous la direction du metteur en scène Stuart Seide.
. C’était un grand moment. J’admire le travail de cet homme et donc j’avais envie de tout donner sur le plateau. Ensuite, j’aimais l’idée de jouer en dehors de mon pays, de rencontrer d’autres personnes, d’autres lieux.

Je garde également un excellent souvenir de mon rôle de premier plan dans le film Komma. Je suis en demande de Caméra. Mais, c’est compliqué car les places s’y font encore plus rarissimes qu’au Théâtre. J’adore l’image. Avec mon compagnon, Michelangelo Marchese, nous écrivons le scénario d’une série télévisée : Motel. Actuellement, nous réalisons ce que l’on appelle dans le jargon cinématographique « une bible ». C’est un développement de toutes les intrigues qui se dérouleront dans les 13 épisodes. C’est également les notes d’intentions à propos de la série, son concept… Nous avons la chance, sur ce projet, d’avoir un producteur flamand et un producteur francophone qui nous soutiennent. Avec cette bible, les producteurs pourront démarcher auprès des différentes télévisions. Cette série est un vieux rêve : nous sommes tous deux des enfants de la télé. C’est un média que je ne rejette pas, même si parfois il véhicule beaucoup de conneries.

Que raconte Motel ?

C’est un thriller fantastique qui se déroule dans un motel au fin fond des Ardennes. Ce motel a été bâti sur une ancienne pierre sacrée datant de l’époque celtique. L’histoire commence le 29 octobre et se termine le 3 novembre. Cette période est, pour les Celtes, l’occasion de la « Fête de Samain ». Elle célébrait le moment où l’Autre Monde rencontrait la réalité.

Je pourrai y jouer ?

(Rire) Oui, oui pourquoi pas ?!! L’objectif de cette série est également d’exploiter davantage le potentiel artistique belge. À mon sens, nous nous sous-estimons et nous sommes sous-estimés.

À Cannes aussi ?

Il y avait en tout six films belges présents cette année, parmi lesquels : les frères Dardenne que nous connaissons tous (Le Silence de Lorna), Bouli Lanners (Eldorado) et Joachim Lafosse (Elève Libre). Je trouve que la presse francophone belge ne les mettait pas assez en valeur. Hugues Dayez, l’animateur radio sur la Première ne parlait pas suffisamment des deux films belges sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs
Par contre, dans la revue de presse internationale, un journaliste allemand titre « La Belgique, terre du cinéma » ! Les productions belges essaient de se calquer sur ce qui se fait en France. La Belgique doit se revaloriser. Nous devons être fiers de ce que nous faisons, parce que ce que nous faisons est de qualité. Nous avons des acteurs en Belgique d’un niveau bien supérieur à bon nombre d’acteurs français. On est très à la mode en France, mais on n’est toujours pas à la mode chez nous ! C’est la mentalité belge ! Mais ne perdons pas courage ! Il faut préserver notre identité et continuer à créer comme nous l’entendons. Nous sommes exagérément conditionnés à produire avec deux francs cinquante, à penser la création avec deux francs cinquante et à voir les portes se fermer sur notre nez !!! Les choses doivent changer !

Vous regardez les séries télé ?

Oui, avec Michelangelo, on en a regardé beaucoup : Les Sopranos, Nip /Tuck et Heroes sont des séries géniales ! Ma série-culte reste Twin Peaks de David Lynch.
J’ai vu également tout récemment une série flamande magnifique que je recommande à tout le monde : Matrioshki. Cette série anversoise s’est vendue dans le monde entier et les comédiens y parlent un patois flamand ! Eux n’ont aucun problème avec leur identité ce qui n’est pas le cas des francophones.

Vous aimeriez travailler avec David Lynch ?

(Rires) Ben oui ! Oh oui alors, évidemment !!!

Quels sont vos futurs projets ?

À partir du mois de septembre 2008, je serai pendant cinq ans en résidence au Public. Une fois par an, j’aurai la chance de pouvoir créer dans ce lieu. Je commencerai en jouant dans le nouveau texte de Yasmina Reza : Le Dieu du Carnage en novembre et décembre 2008. C’est l’histoire de deux couples qui se rencontrent afin de régler un problème de bagarre entre leurs enfants respectifs. La situation va bien vite dégénérer. En 2009, je mettrai en scène Mister Beats, l’un de mes textes.

Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

Jouer davantage derrière une caméra. J’ai également une passion pour la tragicomédie car c’est le moyen de ne pas s’apitoyer sur notre sort et, à la fois d’être pertinent. Shakespeare est l’un de mes auteurs favoris : ses textes sont riches de situations fortes, de respirations comiques et de moments d’émotions. C’est ce que j’essaie de viser dans mon travail d’écriture.

Que peut-on vous souhaiter ?

Être complètement libre par rapport à mon travail, que tous les employeurs me fassent des tas de propositions, que je n’aie plus qu’à choisir (Rires) et, que, parallèlement à tout ça, j’aie les moyens de créer !

Propos recueillis par France Pinson, le 22 mai 2008
Crédits photos Il Cortile : Pierre Bodson©

Retrouver Valérie Lemaître OÙ, QUAND, COMMENT ?

Zone Urbaine Théâtre – Rue Ransfort, 81 -1080 Bruxelles
du 5 au 27 juin à 20h 30 : Il Cortile (mise en scène)
Réservations : 0498 109 440 info@zoneurbainetheatre.be

Théâtre le Public – Rue Braemt, 64-70 -1210 Bruxelles
du 12 novembre au 10 janvier 2009 : Le Dieu du Carnage (comédienne)

et déjà pour la saison 2009-2010 - septembre 2009 : création de Mister Bates (auteure)
.

Documents joints

Notes

[1cortile en italien

[2Résumé : Peter DE WIT, la cinquantaine, se réveille au beau milieu de la nuit et constate avec effroi qu’il est dans la chambre froide d’une morgue.
Comment en est-il arrivé là ? Il ne s’en souvient pas, ne veut pas s’en souvenir…
Sous l’identité d’un cadavre dont il a dérobé le portefeuille, Peter décide de prendre un nouveau départ, de s’inventer une nouvelle vie.
Sa silhouette de businessman mature erre dans les quartiers de la ville, glissant avec plus ou moins de brio dans la peau d’un personnage qu’il improvise au gré des situations ; Lars Erickson, un énigmatique homme d’affaires suédois de passage à Bruxelles.
Un soir, il tombe sur Lucie, une jeune artiste névrosée qui semble avoir perdu la mémoire.
Presque sans y penser, par un effet de vases communicants, la mythomanie de l’un comble l’amnésie de l’autre et Peter s’offre une place de choix dans la vie de la jeune femme…