Dimanche 19 janvier 2020, par Laure Primerano

Rose + Bleu = ?

Jouer au foot, à la poupée, construire des robots ou faire de la pâtisserie. Et si ces activités n’étaient plus classées selon une hiérarchie homme/femme ? Et si la société entière s’affranchissait de la notion de genre ? C’est l’expérience que se propose de réaliser, le temps d’une soirée, la nouvelle création de Clinic Orgasm Society.

Quatorze ans après « J’ai gravé le nom de ma grenouille dans ton foie », Clinic Orgasm Society revient sur les planches du théâtre Varia avec un spectacle interrogeant la notion de genre. En s’éloignant d’une simple critique de la binarité, la compagnie choisit cette fois d’explorer le thème plus ardu de l’absence de genre. « Ton joli rouge-gorge » prend place dans un univers fictionnel où toute notion de genre a été abolie, après ce que le narrateur appelle, dans un langage très imagé, « la révolution des couleurs ». Dans cet univers où les pronoms genrés ont fait place aux pronoms neutres « iel/iels » et où l’écriture inclusive est devenue monnaie courante, quatre adolescents font figures de parias. Tous sont atteints d’un mal incurable et dégénératif qui, au travers de violentes crises, les pousse à éructer propos sexistes sur propos sexistes. Sentant le mal les ronger et profitant du repos que leur laissent de plus en plus courtes périodes de lucidité, les quatre adolescents, accompagnés d’un robot, se décident à trouver refuge dans un camping abandonné. Cruellement conscients du danger qu’ils représentent pour la société, les protagonistes de « ton joli rouge-gorge » se préparent à finir leurs jours dans cet endroit reculé, alors que la maladie continue sa lente mais inexorable progression…

Spectacle immensément drôle, « Ton joli rouge-gorge » est truffé de références à la pop culture allant du film d’horreur à la science-fiction en passant par le film pour adolescents. En posant ses repères dans un environnement socio-culturel familier, la pièce permet à ses spectateurs d’emboiter sans peine le pas à la narration. Ancrant ses personnages principaux dans les tumultes de l’adolescence, dans tout ce qu’elle a de gauche et de maladroit, « Ton joli rouge-gorge » pose, sous couvert de l’humour, les vraies questions. Sous le coup d’émotions intenses, les quatre protagonistes explorent leurs relations avec les autres comme avec eux-mêmes, dans une atmosphère à la fois tendre et drôle. Dans un univers où les rapports de genre ont été abolis, « Ton joli rouge-gorge » interroge la manière dont l’absence de relations de pouvoir ou, au contraire, leur résurgence à travers le mal qui ronge ses protagonistes, influence les rapports humains ainsi que les aspirations personnelles de chacun.

Dans « Ton joli rouge-gorge », les questionnements se mêlent à une narration où s’enchevêtrent différentes voix plus ou moins mystérieuses. En éparpillant des énigmes dont les réponses ne seront révélées qu’au compte-goutte, le spectacle met en place un suspense « à l’Américaine » qui ne manque pas de tenir le spectateur en haleine. En utilisant des procédés narratifs proche du cinéma, Clinic Orgasm Society réinscrit son spectacle dans une réalité, si pas contemporaine, du moins toute proche. Alors que les débats sur l’écriture inclusive vont bon train depuis plusieurs mois et à l’heure où de nouveaux scandales sexistes éclatent chaque jour, le rétrofuturisme de « Ton joli rouge-gorge » rentre en résonnance avec notre époque en nous interrogeant sur la place et la nécessité du genre dans notre société.

Avec « ton joli rouge-gorge », Clinic Orgasm Society nous prouve qu’un spectacle peut faire rire et réfléchir à la fois. En supprimant le genre de son univers, il souligne la manière dont les stéréotypes de genre sous-tendent notre vie et notre langage au quotidien. Courrez-y tout · e · s !