Jeudi 16 mai 2019, par Laure Primerano

OJAMASHIMASU

Oshiire entrouvre ses portes de papier, dévoilant les secrets qui ont tant fait parler de lui lors de son passage au D-Festival des Tanneurs, en 2015. Posez vos chaussures sur le pas de la porte et apprêtez vous à pénétrer, sur la pointe des pieds, dans un spectacle d’une intimité brutale.


Pour sa 5ème création, la danseuse et chorégraphe Japonaise Uiko Watanabe porte à la scène les liens familiaux unissant une mère et une fille dans une relation conflictuelle. Dans un Japon extrêmement normé où le maintient des apparences est primordial et en l’absence du père, le noyau familial se resserre sur une mère écrasée par ses devoirs et un fille « difficile » dont le tempérament artistique prend des airs de caprices. Danse et théâtre s’allient ici pour dévoiler, dans un jeu de clair- obscurs constant, les sentiments violents qui traversent, de la plus tendre enfance à l’âge adulte, cette relation aussi protectrice que toxique.

Dans l’ambiance confinée du Petit Varia, la tension remplit le plateau, laissé presque vide. Le réconfort d’une étreinte, la détresse d’une absence, la douleur de la trahison, ces émotions fortes que la voix décrit à mi-mots et dont les protagonistes semblent pudiquement détourner les yeux, la danse les exprime au centuple. Par delà les apparences bien rangées, Uiko Watanabe vient entrouvrir les portes de l’oshiire, ce petit meuble de rangement extrêmement populaire au pays du soleil levant, lieu de tous les secrets et de toutes les rancœurs, que les portes de papier presque transparent ne parviennent pas totalement à dissimuler aux regards indiscrets. Cachés, bien enfouis dans ce recoin de mur, les non-dits empoisonnent une relation qui laisse dans son sillon autant de bonheur que de malheur. En exposant ainsi des travers habituellement gardés secrets, Oshiire interroge les concepts de famille et de normalité qui vont bien souvent, dans l’imaginaire collectif, main dans la main.


Le spectacle accorde une place importante à la narration, portée par la figure maternelle. Le langage est clair, impersonnel, rempli de formules et rentre violemment en opposition avec les émotions brutes et pures des passages dansés. Oshiire a l’intelligence de préserver l’individualité de ses danseurs qui habitent des émotions plus que des personnages. Ce détachement subtil, cette distance donnent à l’œuvre une certaine rigueur qui la sauve du dramatique et apporte à cet éternel combat, une touche humaine.


Oshiire, de par sa vision culturelle contrastée nous offre une image de la famille loin des clichés du genre. Elle réussit merveilleusement le pari de parsemer d’émotions abstraites une pièce pourtant bien encrée dans le réel. Une heure qui passe en un clin d’œil et nous laisse avec l’envie d’en voir beaucoup plus.