Jeudi 10 octobre 2019, par Laure Primerano

Message codé

Les murs du Studio semblent avoir bien du mal à contenir la foule qui se presse, au quatrième étage du Théâtre National, pour la première de Codebreakers. Le temps est désormais venu, pour ces quatre figures oubliées des livres d’histoire, de prendre leur revanche.

Codebreakers résume par son titre seul l’essence de la nouvelle création de Vladimir Steyaert : les codes, mais surtout l’art de les briser. L’impulsion créatrice de ce spectacle, le metteur en scène l’a puisée dans l’incroyable histoire d’Alan Turing, mathématicien de génie qui décoda Enigma, la célèbre machine de cryptage utilisée par les nazis durant la seconde guerre mondiale. À la figure de Turing viennent s’ajouter sur scène un moine dominicain adepte des théories de Copernic, une sculptrice désireuse de faire reconnaître son génie par delà les préjugés liés à son sexe et une activiste américaine refusant résolument de s’enterrer dans le silence. Quatre figures qui, éparpillées à travers le temps et l’espace, dressent ensemble un tableau universel de la résistance à l’oppression.

Codebreakers ratisse large. Son plus ancien protagoniste vécut à une époque où la croyance que la terre tourne autour du soleil était punie du bûcher tandis que Chelsea Manning est, elle, encore bien vivante (et jeune !) à l’heure où ces lignes sont écrites. Le spectacle tend, à travers une narration complexe mais limpide, un fil rouge entre ses personnages, retraçant par des tableaux successifs leurs différentes étapes de vie. De par l’enchevêtrement précis de ces tableaux, il met le spectateur sur la piste de parallèles aussi intrigants qu’inquiétants, à la découverte de motifs qui se répètent, inlassablement. De même, le choix d’un ensemble de quatre acteurs assumant tous les rôles donne aux figures d’autorités, du Moyen-Âge à celui d’internet, des visages familiers et souligne intelligemment le cruel et éternel retour, sous des habits différents, du jugement sociétal.

Si la scène se veut intimiste (elle s’appelle, après tout, le studio), l’usage parfois agressif de lumières, de flashs et d’ambiances sonores rend rapidement l’espace confiné et oppressant. Alors que les personnages tentent de venir plaider leur cause sur l’estrade de fortune qui leur est réservée, leurs efforts semblent vains et dérisoires. En toile de fond, les scènes de vie se succèdent, marquant autant d’inexorables chutes que les plaidoyers désespérés n’auront pu empêcher. À cette tension de l’inéluctable, seul le destin de Chelsea Manning semble s’opposer, ré-ancrant intelligemment le spectateur dans l’ici et maintenant. Une manière sans doute pour Vladimir Steyaert de rappeler que la lutte continue.

Codebreakers braque ses projecteurs sur des penseurs révolutionnaires, condamnés injustement à l’oubli, afin de les sortir de l’ombre ou de rectifier la réputation que l’histoire nous en a laissé. Un spectacle réglé avec minutie et qui interroge notre perception de l’histoire humaine, nous donnant envie de partir à la recherche, dans les recoins de cette même histoire, de nouveaux briseurs de codes.