Jeudi 15 novembre 2018, par Laure Primerano

Médée 2018

En matière de sujets choc, l’auteure Solenn Denis n’en est pas à son coup d’essai.

Après sa pièce Sstockholm, présentée au Globe Théâtre de Bordeaux en 2014 et s’inspirant de la période de captivité de Natascha Kampusch, elle commence la même année la création de Sandre. Accueillie en cette mi-Novembre dans la grande salle du Théâtre 140, cette performance d’acteur touche à l’un des derniers grands tabous du 21ème siècle.

De l’antique mythe de Médée jusqu’à aujourd’hui, l’infanticide fascine autant qu’il révulse. Entre l’horreur et l’incompréhension se trouve toujours, en filigrane, la même question : comment peut-on en arriver là ? Question sur laquelle on évitera bien souvent de s’attarder, une fois tombé le verdict d’emprisonnement. Avec Sandre, Solenn Denis veut donner une voix à ces femmes qui ont commis l’impensable, prendre du recul sur leur diabolisation et remettre l’humain au centre de l’inimaginable. Pensé sous la forme d’un monologue d’une heure, Sandre nous invite à rentrer dans l’intimité d’une femme à priori comme les autres, de ses premiers amours au jour fatidique où tout a basculé.

Le texte est fort, poignant et laisse dans la bouche un sentiment de suffocation et d’angoisse, à l’image du minuscule espace éclairé d’où l’acteur, seul en scène, le déclame comme d’une tribune de fortune dans l’immensité noire du plateau. Cette anxiété palpable nous colle au corps bien après notre sortie de la salle de théâtre. Et bien qu’il laisse entrevoir, à demi-mots, les fatals événements qui constituent son dénouement, la pièce a la décence de jamais tomber dans le voyeurisme ou la violence gratuite.

Au centre de la scène se tient le comédien Erwan Daouphars qui forme avec l’autrice le Collectif Denisyak. Le choix d’un acteur masculin est réfléchi. En sélectionnant une personne elle-même incapable de donner naissance, Solenn Denis souhaite éviter un rapport trop important à l’affect qui pourrait entraver la performance et met ainsi une distance salvatrice pour le jeu. Magistral du début à la fin, il sait faire ressortir toutes les nuances du texte et, avec elles, toute son humanité. À la fois heureuse, peureuse, bafouillante ou en colère il incarne la réalité d’une femme en détresse qui s’accroche à ses certitudes, et sort de l’image monstrueuse habituellement dépeinte des infanticides. Si le choix d’une mise en scène épurée est compréhensible, un peu plus de dynamisme aurait cependant contribué à sublimer les talents de Daouphars.

En abordant avec subtilité un sujet qui de prime abord rebute, Sandre déroule sous nos yeux une longue descente aux enfers, qui débute par une simple marche ratée. Un spectacle bouleversant à ne cependant pas mettre entre les mains des plus sensibles.