Les marchands

Théâtre | Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Dates
Du 16 au 25 janvier 2014
Horaires
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Les marchands

C’est une femme qui raconte. Son travail à l’usine d’armement, qu’elle aime et qui structure sa vie. Son angoisse face à l’annonce de la fermeture imminente de l’usine, face à la guerre qui, peut-être, est à nos portes. C’est une femme qui raconte son amie qui, elle, n’a jamais pu se faire engager à l’usine : sans travail, endettée, elle vit perdue au milieu de ses morts, qui apparaissent parfois inopinément, dans son grand appartement. C’est une femme qui raconte, en voix off, sans que jamais les acteurs qui illustrent le propos ne prononcent un mot sur le plateau. Ce n’est que le premier d’un des nombreux partis-pris de radicalité de ce spectacle qui acheva de révéler Joël Pommerat au grand public. Avec son alternance noir/lumière qui révèle à chaque fois un nouveau tableau, avec ses éclairages d’une terrible beauté, avec ses gestes et mots sans cesse répétés, avec la force tranquille de ses comédiens, avec ses intermèdes musicaux complètement décalés, Les Marchands illustre la dualité du théâtre de Pommerat, qui est tout à la fois totalement dépouillé et extrêmement sophistiqué. Et, comme d’habitude avec Pommerat, la froideur n’est que de façade : l’humour et l’humanité rôdent au détour de chaque réplique. Mais la grande force de ces Marchands, c’est ce propos d’une rare lucidité sur la façon dont le travail, ou son absence, construit et détricote nos vies. Sur la façon dont nous nous retrouvons chacun marchand de notre temps, de notre vie. Une création théâtrale de Joël Pommerat | Compagnie Louis Brouillard, Théâtre National/Bruxelles, L’Odéon-Théâtre de l’Europe/Paris
Du 16 au 25 janvier au Théâtre National
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale, Murielle Martinelli, Ruth Olaïzola, Marie Piemontese, David Sighicelli

Prix : 19 € - 15 € - 10 €

Réservation : 02/203.53.03

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2 Messages

  • Les marchands

    Le 20 janvier 2014 à 12:33 par loulou

    En voix off le monologue d’une femme ;sur scène des personnages à la parole inaudible ;une série de tableaux muets et comme toujours chez Pommerat l’utilisation magique de la lumière , du son. et de la musique.
    Une dénonciation de la marchandisation de la main d’oeuvre humaine mais j’avoue que cette pièce m’a beaucoup moins touchée que les précédentes (Cet enfant,Je tremble,Cendrillon...) peut-être à cause de certaines invraisemblances dans le récit.
    Dommage.

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  • Les marchands

    Le 22 janvier 2014 à 06:57 par IsaDM

    J’ai beaucoup aimé... Mes yeux et mes oreilles sont à nouveau restés époustouflés devant cette esthétique hypermaîtrisée de A à Z. Le message est fort.

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Mardi 21 janvier 2014, par Jean Campion

Le travail, oxygène indispensable

Pour interroger le réel, Joël Pommerat s’efforce d’échapper à sa propre grille morale "comme quelqu’un qui voudrait observer des êtres avec qui il n’a pas de liens, pour les décrire sans les juger, d’une façon dénuée de sentimentalisme." C’est avec ce regard qu’il nous propose une fable tragique et cruelle, qui remet en question la valeur travail. Entrelaçant vie quotidienne et imaginaire, "Les Marchands" est un spectacle qui nous fascine par son audace, sa rigueur et son intensité.

En voix off, parfois en direct sur scène, la narratrice confronte son existence à celle de son amie. Propriétaire d’un grand appartement, au vingt et unième étage, cette femme vivait dans "un vide qui faisait peur". Sa soeur et son oncle lui reprochaient ses folles dépenses. Malgré ses énormes dettes, elle s’était acheté un magnifique poste et se gavait de télévision. Privée du sens des réalités, elle ne comprenait pas pourquoi elle n’était pas embauchée par Norscilor. Entreprise phare de la région qui emploie la narratrice. Ouvrière à la chaîne, celle-ci doit porter un corset, pour soulager son dos martyrisé par les cadences infernales. Des journées entières avec l’envie de hurler. Elle supporte cette souffrance, en pensant aux personnes qui n’ont pas sa chance : travailler.

Semeur de troubles, Joël Pommerat fait la part belle à l’étrangeté et au rêve. Chaque héroïne est frappée par de curieuses ressemblances entre des membres de son entourage. La grossesse de la conteuse est énigmatique. Des personnages comme "le fils de mon amie" ou "la jeune fille qui veut l’aider" gardent leur secret. Et souvent par la télévision, les morts se manifestent, offrant réconfort et complicité. Pour l’amie paumée, notre monde n’est pas vrai. Seuls les morts vivent et disent la vérité.

Ponctué d’hésitations, d’interrogations, de dérobades, le monologue fait douter de la fiabilité du témoignage. Et les images qui se dégagent d’une quarantaine de tableaux ciselés se différencient progressivement du récit, pour nourrir notre imagination. L’auteur, écrivain de plateau, cherche à montrer sans démontrer. Par la fluidité de leurs démarches, la netteté de leurs gestes et leur cohésion, huit comédiens quasi muets nous font naviguer entre réalité et fantasmes. Les lumières froides reflètent le sort cruel de ces fantômes. Eclairés en contre-plongée, les ouvriers, enchaînés au tapis roulant, sont transformés en robots. Comme dans "Les Temps modernes" de Chaplin. Déshumanisation accentuée par des bruits angoissants de machines et de sirènes. Cependant des chansons populaires de Luis Mariano ou de Richard Cocciante font parfois oublier la souffrance. L’émotion ne vient pas du pathétique des situations mais de l’intensité du spectacle.

A la suite d’une explosion meurtrière dans un atelier, Norscilor est menacée de fermeture. On estime que l’usine est dangereuse et qu’elle produit des matières destinées à la fabrication d’armes radicales. Quand le couperet tombe, l’amie de la narratrice jette son enfant de neuf ans dans le vide, du vingt et unième étage. Elle l’offre en sacrifice pour sauver l’entreprise. Comme Iphigénie immolée pour gagner la guerre de Troie. Le fait divers prend une dimension mythologique. L’émotion provoquée par l’acte abominable de cette femme sans emploi rouvre les portes de Norscilor. Durant la crise, pas de discours politiques mais la prise de conscience que les hommes ont besoin de travail. Comme de l’air pour respirer. "Nous vendons notre temps de vie. Et c’est ce qui nous permet de nous regarder dans une glace. Avec fierté."

Jean Campion

Théâtre National Wallonie-Bruxelles