Jeudi 1er octobre 2020, par Laure Primerano

J’peux pas, j’ai poney

Top départ : les théâtres sont réouverts ! Galopant sans relâche, en dépit du confinement et de la crise du Covid-19, la Sweetie Horn d’Isabelle Wéry arrive, sans l’ombre d’un essoufflement, sur les planches du Théâtre 140. On ajuste son masque et on ouvre grand les yeux et oreilles, c’est reparti !


Initialement prévu pour Avril 2020, Poney Flottant fut heurté de plein fouet par la crise sanitaire. Mais qu’à cela ne tienne, Isabelle Wéry et ses acolytes, Pierre de Mûelenaere et Yannick Franck, nous ont gardé la surprise au chaud ! Adaptation, par son autrice, du roman éponyme, Poney Flottant retrace, en une succession d’élucubrations comateuses, la vie de Sweetie Horn, femme anglaise au passé agité. Fillette choyée par son grand-père, Sweetie, 10 ans et le caractère déjà bien trempé, mène une vie où le moindre de ses caprices se voit assouvit. Le dernier en date, et sans doute le plus gros : devenir propriétaire d’un cheval. Malheureusement, le caprice tourne rapidement à la mauvaise farce lorsque Sweetie, victime d’un soudain arrêt de croissance, se voit affublée du surnom de poney. Pour Sweetie, c’en est trop : il faut agir !

En une explosion de couleurs et de sons, peu à peu, la terrible vengeance de la fillette s’organise. Le plateau est simple, sans fioritures. Son arrière-plan noir, presque austère, semble sans cesse ramener notre esprit vers le corps faiblissant de Sweetie, gisant sur son lit d’hôpital. Le jeu pétillant d’Isabelle Wéry, les flash musicaux du duo d’Orphan Sword et les sculptures massives de Marcel Berlanger, en revanche, sont autant de moments auxquels se rattachent les souvenirs hallucinés de la mourante. Des yeux plein de tendresse du grand-père au short à paillettes du cousin queer, en passant par les vacances familiales en Espagne, Poney Flottant dresse un portrait décalé de l’enfance et de l’adolescence. L’expérimentation littéraire de départ trouve ici son expression à travers le jeu, la musique et la sculpture, formant un tout dont chaque partie semble pourtant bien distincte.

C’est précisément cette pluralité qui fait toute l’originalité de Poney Flottant. Si performance, musique et arts plastiques paraissent ne faire qu’un sur scène, ils semblent également y donner une représentation qui leur est propre. La pièce est marquée, dans son ensemble, par une étrange sensation d’instabilité, de fluctuation. Poney Flottant nous prend entre deux feux, passant d’un extrême à l’autre sans crier gare. De la fiction dramatique au rêve électro-pop, des stéréotypes progressistes à la violence des rapports familiaux, le spectacle nous fait danser sur tous les pieds à la fois. Cette tension incessante permet à l’œuvre de ne jamais immerger totalement le spectateur en elle, lui refusant par là un confort attendu. Avec une main de maître, Poney Flottant laisse son public dans une oscillation constante entre la confusion et le malaise, ponctuée d’éclats de rire.

Poney Flottant est un spectacle qui ne semble jamais savoir trop sur quel pied danser et qui fait exactement ce que son titre indique : il flotte. Une expérience déroutante pour un début de saison à l’image de cette année 2020.