Jeudi 27 décembre 2018, par Dominique-hélène Lemaire

Genre : sans paroles

Sous le ciel de Paris, ils ont tout, sauf la parole. Cela se passe dans une maison de poupée aux accès digitalisés. Les TROIS jeunes VOISINS de palier vivant sous les toits, dans ces logis minuscules, séparés par des cloisons de papier à cigarette, ont tout faux.

Le frêle esquif de leur vie Pépère est sans cesse retourné par une adversité domestique plus que rancunière, carrément hostile. Tout est sujet aux boums patatras burlesques, d’où qu’ils viennent. Par le vide-ordures, par les tuyaux d’aération, les vasistas , voire l’unique fenêtre centrale, le robinet d’eau courante, le courant d’air, l’air de rien et pourtant tout, se ligue invariablement contre eux…

Et pourtant, jamais ils ne désespèrent. Ils restent imperturbables, alors que la moindre action les mène inexorablement vers l’échec garanti sur facture. Même lors d’une vulgaire lutte contre un stupide moustique, ils se brisent tous les dents. Molière sans paroles… Ce mélodrame burlesque primé lors des Molières du rire en 2017 est un ramassis de fêlures les plus inimaginables, mais dont la dentelle inimitable éclaire notre humble condition humaine.

Côté jardin, le premier occupant est de taille imposante et vit dans une pièce d’un blanc immaculé équipée de gadgets de la plus haute technologie. Le second, qui occupe la pièce du milieu, la seule dotée d’une fenêtre, est plutôt négligé, mince et barbu, cheveux poivre et sel en bataille. Il a amassé tellement de bric-à-brac qu’il doit dormir dans un hamac. La troisième, habite dans la pièce côté coeur. C’est une minette sculpturale à chevelure de rêve. Elle s’occupe d’un poisson rouge qui passe par toutes les couleurs et s’improvise tour à tour, masseuse, coiffeuse et infirmière plus que flirteuse, dans son intérieur rose bonbon complètement kitsch. Toilettes à l’extérieur, pour les incontournables blagues scatologiques qui restent néanmoins potables, si l’on peut dire…

Ces trois humains sont muets mais cela ne les empêche pas de communiquer sans arrêt dans un langage corporel étourdissant et universel qui génère des cascades de rires dans la salle du Théâtre Jean Vilar, en cet extrême fin décembre 2018. On reconnaît tout de même une chanson de Brel, à travers les savoureux borborygmes du premier locataire qui dispose, on le devine, dans la vie réelle d’un formidable organe vocal. A l’occasion d’une boum chez l’aguicheuse, les corps trahissent le désir sur des musiques torrides et rythmées. Entre deux pluies de catastrophes, nous nous prenons à muser avec eux une autre chanson de crooner planétaire. Nous dansons devant Daft Punk et nous rions avec ces anti-héros des mansardes parisiennes qui ont su remettre au goût du jour les innombrables farces du film muet, inspirées par Charlie Chaplin, Jacques Tati et Mr. Bean. Les trois trois lascars – Jonathan Pinto-Rocha, Pierre Guillois et Agathe L’Huillier – associent désastres et maladresses de façon totalement spontanée et désarmante pour raconter en gestes chaotiques ou dérisoires notre fragilité humaine et la solitude moderne. « Meli-mélo-burlesque » tendre, drôle et surprenant sans un instant d’ennui ou d’agacement. C’est chose rare et c’est déjà beaucoup, pour trois artistes réunis par les pires ficelles du comique en continu.​ Dominique-Hélène Lemaire