Tonique comme Alice au pays des merveilles, Zazie, la petite donzelle en visite à Paris, découvre le monde. C’est un vent de fraîcheur, des couleurs acidulées, la liberté des choix, de l’humour noir à travers des personnages hauts en couleurs et en parodie. Partout comme des pastilles à sucer, les vues de Paris telles des points sur les i. Les illustrations sont de Jean Goovaerts et Sébastien Fernandez. Avec Miriam Youssef, ils n’y sont pas allés de main morte, chamboulant les modes et les codes, fabriquant avec leur splendide équipe comme faite sur mesure, une œuvre théâtrale poétique et percutante autour du personnage délirant et lucide de Zazie, une fille au répertoire épicé, aux réparties souvent ponctuées de « Mon Q » ! Du grand art !
Jeune provinciale sortie d’un milieu familial plus que compliqué, la voilà jetée, elle l’espère, dans le ventre de Paris pour une première libre exploration du monde, avec sur les lèvres des questions aussi étourdissantes que tyranniques. Fraîchement arrivée, elle hurle sa déception comme un enfant gâtée : le métro est fermé pour cause de grèves. Elle découvre aussi un oncle « gardien de nuit » qui fait le plus souvent la tante : Gabriel à la ville, Gabriella au Mont-de-Piété ! Le radieux Stéphane Fenocchi.
Pleins feux sur la sexualité d’une drôle de famille d’accueil, les questions essentielles de l’enfant obstinée « déjà formée » (elle insiste !) …mais pas formatée, dérangent ! Même pas peur, elle fugue de nuit et s’élance vers la liberté. These boots are made for walking… Elle ne lâche pas ses bottes jaune citron quand elle quitte son effarant tutu rouge, pour enfiler les « bloudjinnzes » de la liberté ! « Tu causes, tu causes et c’est tout ce que tu sais faire ! », claironne Laverdure, le perroquet des tenanciers du bar d’endsous ! Quelqu’un doit lui avoir tordu le cou : le squelette dudit perroquet trône sur l’épaule de Turandot, le tenancier grimmé comme un pirate, secondé par la craquante Mado P’tits-Pieds, la serveuse... De savoureux personnages brillamment joués par Luc Van Grunderbeeck et François Regout.
En tout état de cause, c’est avec son langage détonnant que Zazie se défend et affirme son identité et sa liberté, toute vulgarité vaincue. Pure magie, Julie Duroisin interprète l’héroïne à la perfection, argot y compris. Elle enchaîne les « Hormosessuel qu’est-ce que c’est ? ». La jeune effrontée en a vu d’autres, et pas des plus délicates, dans sa campagne natale… Queneau nous conduit dans un rêve en boucle. « Paris n’est qu’un songe… » La réponse de Zazie, rendue furtivement à sa mère par la douce Marcelina inopinément transformée en jeune Marcel, sera énigmatique : « Alors, t’as vu le métro ? Non j’ai vieilli ! » En à peine deux nuits ! En 1959, dans la France d’après-guerre, Queneau entend dénoncer la stigmatisation sociale de l’homosexualité, la bêtise profonde des français de souche qui conspuent les étrangers, le recours à la culpabilisation, les accusations non fondées des bien-pensants, les manières fortes de la police bleu-blanc-rouge et le pouvoir des apparences. Voilà, sous un jour poétique, le Paris des déshérités libérés des conventions sociales et des lourdeurs mondaines…
L’éclatante et jeune équipe sous la conduite de l’infatigable metteuse en scène capte les reflets de la société dans une indiscutable verve scénique. Les costumes de Thibaut De Costeret et Charly Kleinermann sont eux aussi de véritables œuvres d’art réalisées par Elise Abraham et Sarah Duvert. Même compliment pour les maquillages et coiffures d’Urteza Da Fonseca. Le décor, lui aussi, joue aux œuvres d’art : fait de pièces cubistes genre Optical Art en équilibre sur la pointe du cœur, on l’enverrait bien faire un tour au Musée Vuitton avec ses lignes Mondriaan et ses éclairages couleurs oiseau des tropiques, ou "Jungle Arc" de l’artiste américain Ray Burggraf. Du rêve, quoi ! C’est Geneviève Péria au pinceau, Alain Collet aux lumières. Vertigineux, ce décor : il fourmille de trappes secrètes, d’escaliers, de rampes dissimulées, de plans inclinés instables où opère l’inénarrable et vénéneux équilibriste qu’est le Satyre, Pedro-Surplus, Trouscaillon le policier, Bertin Poirée et enfin Aroun Arachide, vrais et faux en série, admirablement incarnés par John-John Mossoux.
On ne sait si le bus de touristes allemands cherche de la choucroute ou la Sainte-Chapelle. Le métro, même s’il est en grève, sort de terre. Sa grille fermée se tord de rire et laisse échapper ce grand échalas, style poireau sans chapeau, cité plus haut. Personnage énigmatique, magnifiquement interprété par John-John Mossoux qui joue les métamorphoses. Un individu multiforme, transfuge sans foi ni loi, un œil vissé sur l’Autre, prédateur en diable, qui ne sait même plus à la fin qui il est ! Voilà, pour le côté thriller. Et puis il y a une séquence pure poésie et les musiques rêvées d’Isabelle Fontaine... et une veuve sentimentale, La veuve Mouaque ( Pierre Poucet) qui mourra en Gavroche ! La faute à Voltaire, la faute à Rousseau !
On adore bien sûr le couple angélique formé par Stéphane Fenocchi et Sébastien Schmit. Et tout autant, la tendre histoire d’amour entre l’ami Charles, le taximane au pittoresque tacot et Mado P’tits pieds, jouée par le duo Jean-François Rossion et François Regout.
...Voir tant de talents se correspondre et fleurir entre les pavés, et donc, applaudir à tout rompre, voilà du vrai bonheur et du grand art !
Deashelle
Mardi 25 avril 2017, par
Ya pas que la rigolade...
« N’oubliez pas l’Art tout de même. Y a pas que la rigolade, y a aussi l’Art ! » C’est écrit dans le texte impertinent de Raymond Queneau le Normand, puisqu’il est né au Havre ! Et l’art de la mise en scène et de l’adaptation est au top, dans ce merveilleux spectacle présenté au Parc pour clôturer la saison. Miriam Youssef signe un véritable feu d’artifice.