Lundi 23 janvier 2017, par Catherine Sokolowski

Voyage spirituel intense

Ella Rubinstein, proche de la quarantaine, femme aisée et mère de trois enfants souhaite reprendre une activité professionnelle et devient lectrice pour une agence. Elle débute avec un manuscrit de Aziz Z. Zahara. Le roman raconte la rencontre entre le poète Rûmi et Shams de Tabriz, un derviche errant. Le spectateur assiste donc à deux histoires parallèles, celle de la lectrice dont le ménage bat de l’aile, qui communique par messagerie avec l’auteur du roman, et celle de Rûmi et Shams, empreinte de spiritualité, qui se déroule dans l’Orient du XIIIième siècle. Soufisme à l’honneur pour un soir ou pour toujours, cela dépendra, mais dans tous les cas, une pièce qui met l’amour sur les devants de la scène et donc, déjà pour cette raison, recommandable !

La pièce est basée sur le grand succès "Soufi, mon amour" d’Elif Shafak, écrivaine turque, qui éclaire les caractéristiques du soufisme, cœur de la tradition islamique. En deux mots, ce courant est initiatique et mystique, centré sur l’intériorisation, la contemplation et la sagesse, en quête de l’amour de Dieu. Le livre et le spectacle sont découpés en 5 chapitres, “Terre” synonyme de solidité, “Eau” ou fluidité, “Vent”, mouvance menaçante, “Feu”, destructeur, et “Vide”, centré sur l’absence.

Aziz est un écrivain qui s’est converti au soufisme. Shams, mystique soufi, est un vagabond derviche qui fait des rencontres, pour finalement tomber sur le poète Rûmi, mystique persan, qu’il va profondément aimer. Ella, américaine, fait le lien entre les personnages et tombe finalement amoureuse d’Aziz. Le livre - comme le spectacle - décrit le voyage initiatique vers l’amour, les caractéristiques nécessaires pour le trouver (humilité, humanité, ascétisme, richesse intérieure…). La conclusion pourrait être que l’amour est accessible pour tout le monde, aussi bien pour une mère de famille américaine aisée qu’un vagabond. C’est dans le chapitre “Vide”, que la danse des Derviches (pauvres et austères) trouve sa place, permettant de terminer le spectacle en beauté.

Il n’est pas évident d’adapter un roman au théâtre. Dans ce cas-ci, le roman traite de spiritualité et aborde des sujets qui ne sont pas forcément familiers pour tout le monde (soufisme, quête mystique, derviches tourneurs…). Christine Delmotte, metteuse en scène, a opté pour un décor simple et immobile, à savoir la cuisine d’Ella. A l’image du soufisme, le voyage du spectateur sera donc intérieur. Très dense, il semblera probablement ésotérique pour certains. Pour ceux-là, seules des bribes resteront car “le Coran est une rivière tumultueuse”. Pour d’autres, plus accoutumés, le spectacle sera plus accessible et la quête spirituelle plus évidente. La lecture du roman pourrait compléter les interrogations nées de la pièce. Au final, “Le monde est un énorme chaudron et quelque chose d’essentiel y cuit. Nous ne savons pas encore quoi. Tout ce que nous faisons, sentons ou pensons est un ingrédient de cette mixture.” Assister au spectacle par exemple ?