Mardi 13 octobre 2020, par Catherine Sokolowski

Vin, poésie et vertu

Dans la droite lignée de « The Wild Party », succès incontournable de jazz-théâtre, « l’héautontimorouménos » met en scène les textes de Baudelaire (1821-1867), poète entièrement tourné vers le beau, passionné et tourmenté, dans un spectacle rock pétillant. Benoît Verhaert au micro, Delphine Gardin au chant et Gilles Masson à la guitare accueillent les spectateurs à la lueur des bougies, pour une soirée intimiste résolument charmante.

Une vieille commode sur laquelle triomphe une carafe d’absinthe, une tête de mort et quelques livres encadrent la déclamation de Benoît Verhaert : « C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent ! ». « Au lecteur », poème sombre sur le genre humain, donne le ton. Des extraits de « Enivrez-vous », « La fontaine de sang », « La belle Dorothée », « L’horloge », « Fusées » et beaucoup d’autres s’enchaînent dans une violente tempête poétique qui secoue délicieusement.

L’esthétique est un point essentiel pour le poète et c’est aussi une caractéristique du spectacle. Lumières bleutées ou rosées, scène aux allures de tableau, costume trois pièces pour Benoît Verhaert, bustier sexy pour Delphine Gardin, tout est là pour séduire et envoûter. Parcimonieusement, sa belle voix puissante prend le relais, rendant le spectacle encore plus attrayant. Gilles Masson n’est pas en reste, à la musique mais aussi à la prose, avec autant de brio.

En osmose avec les humeurs du poète qui fut décrié avant d’être honoré, le trio donne vie à l’enthousiasme et la mélancolie de Baudelaire. C’est avec beaucoup de malice qu’ils partagent « Pauvre Belgique ! », une lourde agression contre notre pays qui l’accueillit dès 1864. « Les Belges sont un peuple siffleur, comme les sots oiseaux. … C’est une habitude d’enfance incurable. Affreuse laideur des enfants. Pouilleux, crasseux, morveux, ignobles. Laideur et saleté. Même propres, ils seraient encore hideux. Peuple siffleur et qui rit sans motif, aux éclats. Signe de crétinisme. Tous les Belges, sans exception, ont le crâne vide. » Finalement, il conclut en suggérant que l’épitaphe du royaume devrait être « Enfin ! ».

Le vin, l’opium, l’amour, la religion, tant de thèmes chers à Baudelaire enchevêtrés et indissociables : « Dieu est le seul être qui pour exister n’a pas besoin d’exister ». Les citations de Baudelaire seront toujours contemporaines : « Ce qu’il y a d’ennuyeux dans l’amour, c’est que c’est un crime où l’on ne peut pas se passer d’un complice. » Bien que soutenu par des poètes comme Victor Hugo, « Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. », son oeuvre majeure fut censurée et il ne put aspirer à la consécration qu’il méritait de son vivant.

L’héautontimorouménos vient du grec et signifie « bourreau de soi-même », ce poème parle de solitude et de masochisme. Pourtant, curieusement, le spectacle n’engendre pas la mélancolie, au contraire, il stimule l’esprit et les sens. Energisant, inspirant et brillant, du rock-théâtre de toute grande qualité. Dépêchez-vous, les places sont rares.