Mercredi 25 septembre 2019, par Palmina Di Meo

Vertige créateur

Fondateur du Ontological-Hysteric Theater (1968), institution pionnière des théâtres d’avant-garde, Richard Foreman sera récompensé par une pléthore de prix dont celui de la Fondation MacArthur pour son apport innovateur au théâtre et ce, durant six années consécutives.
Une branche de l’Ontological-Hysteric Theater s’installe même en France début des années 80 et ses pièces sont toujours régulièrement présentées par des compagnies et des festivals aussi prestigieux que le New York Shakespeare Festival, La Mama, The Wooster Group et le Festival d’Automne à Paris.

En janvier 2000, Richard Foreman, écrit et met en scène Bad Boy Nietzsche, un hommage au philosophe devenu fou. « Quel délice si nous pouvions tous accéder à la folie qui se cache en nous ! », prône-t-il.
« Au 20e siècle, l’art n’a d’intérêt que s’il permet de renouer avec cette part réprimée de nous-mêmes. Mes pièces sont paradis car elles projettent la jubilation d’un monde où rien ne peut et ne doit s’expliquer, un monde dans lequel la communication n’existe pas. Elles cherchent à libérer les complexes/complexités étouffés et à prouver qu’on peut en savourer l’énergie avec délice. »
Il décrit son théâtre comme celui « de la coïncidence » et le but de ses représentations comme la « manipulation de la désorientation. »

C’est avec des jeunes comédiens que Sofie Kokaj effectue un travail d’expérimentation propre sur cette partition ludique de l’évolution de la pensée.

Ils sont quatre (Anaïs Aouat, Romain Pigneul, Joseph Olivennes, Sophie Sénécaut) à se livrer à un corps à corps avec un texte qui flirte avec l’enfance, l’appréhension borderline d’un monde sans âme. Y affleurent les préoccupations de la jeunesse : le rejet de la différence, l’errance, l’absurdité de la discipline. Exploration entrechoquée des relations aux êtres et aux choses, la pensée se libère hors de toute convention.

C’est la méthode Kokaj de partir d’images, de fragments pour saisir l’essence d’une œuvre. Faire du théâtre à partir d’un matériau non théâtral, c’est sa marque et si Foreman l’a séduite, c’est qu’il autorise la liberté la plus totale dans la mise en scène de ses textes. Ayant traduit la pièce, Sofie Kokaj met alors en abyme l’idéal de déconstruction de l’auteur car là où « Nietzsche voulait nous extirper de la morale qui nous conditionne, Foreman travaille à sortir le théâtre et l’art de ce qui est établi. »

Sur un plateau nu, encombré d’objets disparates, balisés d’écrans colorés, agrémenté de quelques instruments de musique, les comédiens vont effectuer un parcours de reconnaissance presque à l’aveugle. Tels des fantômes, ils vont chercher à donner un sens à leur présence. Baroque dans le verbe, minimaliste dans la forme, Bad Boy Nietzsche version Kokaj se vit comme un laboratoire de création avec ses doutes, sa part de hasard, sa confrontation au public.

Un peu lente au démarrage, on se laisse vite prendre à cette recherche ludique de cohérence, à ce chassé-croisé drôle et insolite où il est question de comprendre l’incompréhensible, d’affirmer l’irrationnel et de saisir ce qui se dérobe dans un quadrille sadomasochiste cruel, aléatoire et terriblement humain.