Jeudi 8 décembre 2016, par Yuri Didion

Une violente douceur

Tétraplégique à la suite d’un accident de voiture, Marco réclame son droit à la mort. "Je suis un esprit vivant dans un corps mort". Jo, face à la maladie d’Alzeimer, décide de se faire euthanasier. Il meurt entouré de sa famille. A l’annonce de son cancer, Marianne a fait la même demande. Mais des projets de vie plein la tête, elle finira par s’éteindre naturellement en soins palliatifs sans avoir jamais reparlé d’euthanasie. A travers ces trois histoires et le témoignage du docteur Luc Sauveur, le spectacle nous confronte avec une violente douceur à la difficulté de dire au revoir, que ce soit pour le mourant, le médecin ou la famille. Brillant !

François Sauveur, l’auteur et metteur en scène, à travers ces trois histoires, nous présente des relations différentes à la mort, et nous invite à y réfléchir. L’histoire centrale, plus forte, est celle de Marco qui se bat pour faire entendre sa souffrance, et pour que sa demande soit acceptée. Il ne peut plus vivre sans se sentir digne. Lorsque son médecin, Luc Sauveur - le père de l’auteur - le rencontre et accepte de l’accompagner là-dedans, sa vie s’éclaire. A travers les trois témoignages, documents vidéos et interviews à l’appui, père et fils insistent sur l’importance de l’accueil de cette demande et de l’écoute inconditionnelle à offrir à celui qui souffre.

Le sujet est polémique. L’histoire est dure. Tout le monde a des histoires plus ou moins difficiles en rapport avec la fin de la vie. C’est un sujet de société qui peut intéresser chacun. "En attendant le jour" est un spectacle à ne pas manquer. En effet, au-delà de son intérêt politique, la pièce fait preuve d’une finesse inestimable que ce soit dans l’écriture, la mise en scène ou le jeu des comédiens. Un véritable travail d’orfèvre qui évite tous les écueils d’un sujet aussi sensible.

L’équipe le dit elle-même : il est impossible de rendre compte de la réalité. Celle-ci est trop forte, trop extrême pour pouvoir être mise en scène d’une manière touchante sans tomber dans le pathétique. Qui plus est, le choix de la pudeur est sans doute le plus judicieux pour témoigner de la souffrance. Tout d’abord car les histoires racontées sont contemporaines, et que cette mise à distance est autant la marque d’un respect admirable vis-à-vis de ces personnes, qu’elle ne laisse une véritable place d’interprétation aux comédiens. Ceux-ci soutiennent d’ailleurs merveilleusement le texte puissant et plein de poésie. Entre quelques moments d’humour et de tendresse, on retiendra ceux d’une sincérité féroce, notamment la dispute entre frère et sœur et la question qui la conclut : on soulage bien la souffrance des animaux, est-ce plus supportable de laisser agoniser un humain ?

Les acteurs sont efficaces, précis, très à l’écoute l’un de l’autre. Ils déploient leur talent au milieu d’une scénographie épurée : un chaise transparente et de grand rideaux blancs dessinant des espaces. Ca évoque la chambre, l’hôpital, les limbes, ... Au spectateur de projeter son propre décor sur ce matériel qui le supporte aisément. Efficace, essentiel. Il n’y a littéralement ni trop ni trop peu : rien d’autre ne pourrait avoir le même impact, la même beauté, le même respect des hommes derrière le spectacle.

De son côté, le public suit avec émotion l’évolution des situations. Il attend le final, qui est à la hauteur des espérances : un hymne à la vie. "En attendant le jour" se dépose comme un papillon de tempête : léger, discret, presque pudique pourrait-on dire, et en même temps chargé d’une force terrible. Celle de la mort, et du besoin d’en (re)faire une communion dans l’émotion et la recherche d’un nouvel équilibre, avec le manque et la tristesse, un moment de lien entre les vivants.