Dimanche 27 mai 2018, par Catherine Sokolowski

Une amitié bouleversante

Monsieur Linh prend le bateau pour quitter son pays, dévasté par une guerre. Il y laisse son fils et sa belle-fille, morts dans une rizière. Vieux, usé, Monsieur Linh ne sait pas ce qui l’attend mais il sait qu’il doit protéger San Diû, sa petite fille rescapée de 6 semaines. A partir de là et après 6 semaines de voyage, Jérôme Kircher conte avec chaleur et douceur l’aventure du vieil homme, son arrivée dans un nouveau pays et l’accueil qui lui est réservé. C’est l’histoire d’un réfugié parmi d’autre, d’un homme qui protège sa petite-fille, mais c’est aussi celle d’une amitié improbable et de l’importance que peut prendre une telle relation pour quelqu’un qui a tout perdu. Un condensé d’humanité.

Ici, pas de grands effets spéciaux ou de décors éblouissants. La belle voix rauque de Jérôme Kircher remplit la grande salle du théâtre, avec chaleur et délicatesse, ponctuellement accompagnée de quelques notes de musique. Dans cette mise en scène de l’Anversois Guy Cassiers, Kircher apparaît sporadiquement sur grand écran (en direct) dans le rôle du vieil homme, mais aussi dans celui de son ami, Monsieur Bark, qu’il vient de rencontrer dans un parc. Kircher et Kircher assis côte à côte deviennent deux personnes différentes grâce au récit intelligent du conteur. Parfois des mots, des syllabes ou des phrases traversent l’écran venant compléter le monologue du comédien, par exemple lorsqu’il s’agit d’un dialogue avec une infirmière. Une originalité qui capte l’attention.

Monsieur Linh et son ami communiquent alors qu’ils ne parlent pas la même langue. Le courant passe. Ils deviennent essentiels l’un pour l’autre. Monsieur Bark et Monsieur Linh scrutent l’horizon, imaginant l’ombre du pays d’origine du réfugié (le Vietnam ?). Les pays ne sont jamais nommés. Le récit dépasse le cadre du cas particulier. Monsieur Bark connaît bien ce pays et demande pardon à son nouvel ami pour les exactions qui y ont été commises bien que Monsieur Linh ne comprenne pas ce qu’il lui dit.

Le vieil homme est temporairement hébergé dans un centre de réfugiés. Bientôt il doit déménager, le dortoir va fermer. Que va-t-il devenir ? Pourra-t-il continuer à s’occuper de sa petite fille ? Reverra-t-il son ami ?

Un conte plein d’humanité écrit par Claudel qui bénéficie de la mise en scène sobre mais sophistiquée de Cassiers, avec Kircher à la barre, cela ne pouvait qu’être une réussite. Effectivement. Sans larmoiements, sans description sordide inutile, tout y est parfaitement dosé. Quasiment monochrome, la couleur du spectacle naît de la rencontre entre un autochtone et un émigré, sans matérialité superflue. Une création qui est présentée par plusieurs comédiens en fonction de la langue du pays qui l’accueille. Une superbe réussite collaborative qui éclaire modestement le débat sur l’accueil des réfugiés : un projet européen en somme.