Brandon en a marre de vivre dans une famille de ploucs. Largué par sa femme, son père, ouvrier chez Caterpillar, sombre dans l’alcoolisme et son frère John est éboueur. Un métier écoeurant ! Le jeune homme étouffe dans son école minable, alors que Valentine "la plus belle fille du monde", fréquente un collège huppé. Il passe son temps à la suivre, à l’admirer. En la voyant rire avec un copain, qui possède un iPhone dernier cri, il se persuade que, pour la séduire, il doit changer de look. Malgré les mises en garde de son amie Stacy, il se ruine pour une veste hors de prix... qui lui donne un air godiche. Tant pis ! Son anniversaire tout proche lui permettra de se renflouer. Cruelle déception : à cause de la délocalisation de l’usine, son père vient d’être licencié. Brandon refuse ce coup du sort et, dans un délire mégalomane, s’achète l’iPhone 12, avec la carte de crédit de son père.
Le rêve tourne au cauchemar. Annuler la commande est impossible. John conseille à son frère paniqué de venir travailler à ses côtés. Ce job d’étudiant lui permettra de payer l’iPhone. Il accepte à contre-coeur cette proposition humiliante. Stéphane, son chef surnommé Dark Vador, l’initie au métier, en lui imposant un boulot harassant, dans une atmosphère nauséeuse. Brandon vomit, mais tient bon. Il forme avec son frère et Stacy, qui les a rejoints, une bonne équipe au service de la municipalité. Préoccupé par l’accumulation des déchets sauvages, le frère aîné fait son travail stoïquement. Malgré les provocations des citoyens, qui "peuvent polluer, puisqu’ils paient des impôts". Un vieux collègue broie du noir, en songeant aux gigantesques nappes de plastique, qui dérivent sur les océans. Brandon, lui, ne digérera pas une mission cruelle imposée aux éboueurs...
La mise en scène de Laura Petrone et de Guillaume Kerbusch imprime à la représentation un rythme trépidant. La nervosité des enchaînements et un humour complice entraînent le jeune public dans ce tourbillon de séquences courtes, de moments d’émotion et de rebondissements. Dans la peau de Brandon, Jérémy Grynberg commente l’action ou y participe avec la même énergie. Il utilise la langue drue, agressive des ados. Aurélie Alessandroni incarne alternativement Valentine, la fille rêvée et Stacy, la copine lucide et sans complexe. Nabil Missoumi souligne la droiture de John et prend plaisir à changer d’apparence, pour représenter plusieurs personnages. Un virtuose de la perruque ! Imaginé par Robert Beurms, le décor nous réserve aussi des surprises. En se déployant, l’impressionnante boîte devient chambre de Brandon, magasin de fringues, camion-poubelle, etc. Des tranches de vie qui mêlent réalisme et imaginaire. Le tableau représentant Valentine participe à l’action et Brandon s’endort, en dansant son rêve.
Prenant le contrepied des réseaux sociaux, le spectacle démystifie la fascination des apparences et la possession d’objets coûteux. Pas de discours moralisateurs, mais des rencontres qui transforment le héros. Même si certains personnages sont caricaturaux, on adhère à cette évolution. Fier d’utiliser l’argent gagné par son travail, Brandon n’a plus honte de sa classe sociale. Au contraire, il se sent solidaire des laissés-pour-compte. Le stage chez les éboueurs lui a ouvert les yeux. Il a compris qu’il pouvait compter sur ce frère déterminé et que la lutte contre l’invasion des déchets lance un défi majeur à la planète déboussolée.
Photos : © Prunelle Rulens