Vendredi 29 mars 2013, par Jean Campion

Une Emancipation laborieuse

Pour Rémi De Vos, l’humour permet de "ne pas être dupe de l’absurdité de la vie". Dans "Jusqu’à ce que la mort nous sépare", il s’en sert avec virtuosité pour décrire un retour aux sources, qui prend l’allure d’un cauchemar. Englué dans une cascade de mensonges, le héros tente d’échapper aux femmes qui ont construit son identité. Une mise en cause cruellement drôle du carcan familial.

Retour de deuil. Madeleine commente avec son fils Simon, les funérailles de sa mère. "Pas très émouvantes... Les gens avaient des têtes de circonstance... Elle était trop vieille." Très vite, les lieux communs font place aux reproches. Pas la moindre visite à sa grand-mère. Ni à la maison de repos, ni même à l’hôpital. Et quand Simon lui annonce qu’il va rester jusqu’à demain soir, Madeleine ricane. Il l’a abandonnée. Depuis dix ans ! En aparté, Simon reconnaît sa mésentente avec une mère, qui a développé chez lui un sentiment de culpabilité insurmontable. Sentiment qui provoque sa panique devant l’urne funéraire brisée. Une fois encore, il n’a pas été à la hauteur, en se montrant incapable de veiller sur les cendres de sa grand-mère.

Pour tenter de sauver la face, Simon se laisse entraîner dans un engrenage de mensonges, de ruses et d’inventions farfelues. Une mécanique de vaudeville qui déclenche des scènes d’une cocasserie irrésistible. Cependant cette comédie expose aussi le combat d’un homme aux prises avec des figures féminines, qui l’étouffent. Larguée par son mari, à la naissance de Simon, Madeleine s’est sacrifiée pour élever son enfant. C’était "le seul homme au monde". Au lieu de se réjouir de sa réussite professionnelle, elle l’accuse de la pousser à coups de pied dans la tombe. La seule façon de calmer ses angoisses est de faire manger ce fils ingrat. Anne, l’amie d’enfance de Simon, lui renvoie l’image de ce qu’il serait devenu, s’il n’avait pas coupé le cordon ombilical. A trente ans, elle vit seule avec son père. Travaillant dans son entreprise, elle prend plaisir à lui mijoter de bons petits plats. Elle aimerait épouser Simon. Celui-ci est encore attiré par cette première femme, dont il a été amoureux. Mais est-il capable de l’aimer ?

La mise en scène précise de Valérie Lemaître insuffle un rythme alerte à cette pièce, qui marie efficacement le comique burlesque et la peinture psychologique. On rit beaucoup de voir Vincent Doms (Simon) et Flavia Papadaniel (Anne) se refiler la patate chaude ou s’embourber dans des explications fumeuses. Mais ces comédiens font bien ressentir également les craintes et les doutes de personnages envahis par leurs émotions. Françoise Oriane est une Madeleine pathétique et redoutable. Elle a beau traiter son fils de monstre, elle ne veut pas le lâcher. Sous ses airs de mater dolorosa, elle cache bien son jeu. Figée dans ce décor désuet, elle incarne le temps qui s’est arrêté. Simon étouffe dans cette maison où il a grandi. Comme en témoignent les coups de fil à son agence, véritables bouffées d’air, et les confidences au public. Monologues très bien exploités, qui, en nous rapprochant du héros, nous poussent à confronter ses réflexions honnêtes avec notre propre vécu. A nous de reconstruire la partie cachée de l’iceberg.