En virevoltant, les cinq acteurs se passent le relais pour jouer, chanter et danser différents épisodes de cet itinéraire, qu’un narrateur balise avec précision. Le 9 novembre 1991, juste après le tournage du film IP5, Yves montand meurt d’un infarctus. Un flash-back nous ramène dans un petit village de Toscane, pour assister à la naissance d’Ivo Livi, un an avant la prise du pouvoir par Mussolini. Fuyant les fascistes, la famille Livi, militante communiste, espère rejoindre les Etats-Unis. Hélas ! le consulat américain ne délivre plus de visas depuis... vingt-quatre heures. Désappointés, les Livi s’installent à Marseille, où s’affrontent gangsters et clans de "macaronis". En 1929, ils obtiennent la nationalité française. Le père, qui avait créé une fabrique de balais florissante doit déposer le bilan, ruiné par la grande dépression. Ivo quitte l’école à 11 ans. Bref passage en usine, puis il obtient un CAP de coiffeur. Dans le salon de sa soeur Lydia, l’apprenti charme les clientes et les épate par ses imitations de Fred Astaire et de Charles Trénet, ses idoles. Berlingot, un imprésario local le repère et lui ménage des rencontres professionnelles fort utiles. Yves a beaucoup à apprendre, mais il est tenace et veut percer. Il y parvient en domptant plusieurs fois le public impitoyable de l’Alcazar. Emile Audiffred, un producteur important, croit en lui et stimule son ambition. La guerre freine sa carrière, mais en 1944, il se sent prêt à conquérir Paris. Cependant une vérification d’identité (Livi ou Lévy ?) le perturbe profondément : "A deux voyelles près, j’avais droit à un aller sans retour pour Auschwitz."
Dans la suite de l’histoire, plus connue, le spectacle isole quelques rencontres marquantes. Edith Piaf l’aide à s’imposer sur scène, à devenir une vedette et... le largue après une courte liaison. Avec Simone Signoret, Montand s’engage dans des combats politiques. Boycott de l’Espagne franquiste et soutien au parti communiste. L’invasion de Budapest par les chars soviétiques, en 1956, ébranle leurs convictions. La tournée en URSS est pourtant maintenue, mais Montand et Signoret réclament des explications au chef du Kremlin. Trois ans plus tard, nanti du fameux visa, le couple est acclamé aux Etats-Unis. Yves triomphe sur une scène de Broadway et Simone reçoit l’Oscar de la meilleure actrice pour son interprétation dans "Les Chemins de la haute ville".
Les auteurs préfèrent garder le silence sur la relation de Montand avec Marilyn et sur ses changements de cap politiques. Ils se contentent d’effleurer sa carrière d’acteur. Si Cristos Mitropoulos et Jean-Marc Michelangeli jouent une scène de "Jean de Florette", c’est pour faire un clin d’oeil au destin. Obscur figurant dans "La Prière aux étoiles", un film inachevé de Marcel Pagnol, Montand force l’admiration, en incarnant le papet, héros tragique imaginé par l’auteur provençal. Cependant, c’est bien l’image du passionné de music-hall, bourreau de travail épaulé par des artistes talentueux, qui s’impose et qui justifie le choix de certaines chansons. Dans la peau d’Ivo Livi, Matthieu Brugot s’efforce de maîtriser le rythme de "Boum", tente de rivaliser avec Fernandel dans "Barnabé" et affirme son style en chantant sereinement "Dans les plaines du Far West". Camille Favre-Bulle, qui incarne toutes les femmes, interprète avec sensibilité "La Vie en rose", "Trois petites notes de musique" et "Les Feuilles mortes". Trois chansons classiques incrustées dans la vie de l’artiste.
Chemises et pantalons marron, les comédiens sont fidèles à la tenue de scène de Montand, mais aussi à son perfectionnisme. La mise en scène précise et inventive de Marc Pistolesi leur permet de nous entraîner dans une farandole de séquences sur un rythme époustouflant. Pas de temps mort, mais un spectacle bourré d’énergie, qui respire la joie de vivre. Les comédiens rendent quelques scènes touchantes mais misent avant tout sur l’humour. Ils nous amusent par leurs apartés et leurs fausses chamailleries. On apprécie leur ironie, lorsqu’ils imaginent différentes versions de la rencontre Montand - Signoret à Saint-Paul-de-Vence. Par contre, leur goût du burlesque les pousse à charger la discussion avec Khrouchtchev. Olivier Selac ne se contente pas d’accompagner ses camarades à l’accordéon électronique, il se coule astucieusement dans l’action. La complicité fait merveille, quand l’équipe chante à pleins poumons la révolution ou qu’elle roule "A bicyclette". Comment ne pas s’enthousiasmer devant ce spectacle intelligent, chaleureux et jubilatoire, qui n’a vraiment pas volé son "Molière 2017" ?