Mardi 24 février 2015, par Jean Campion

Une Amitié en charpie

Pascal Elbé a co-écrit avec Michel Boujenah le scénario du film "Père et fils" (2003). Incarné par Philippe Noiret, un septuagénaire délaissé tente malicieusement de retisser des liens avec ses trois fils. En ranimant leur complicité, il fait émerger les blessures enfouies au sein d’une famille, rongée par les non-dits. Dans "Pour ceux qui restent" (2005), les masques vont également tomber. Au lieu de partager le chagrin provoqué par la mort d’Antoine, ses quatre copains, libérant progressivement leurs rancoeurs, leurs frustrations et leur égoïsme, révèlent la fragilité d’une amitié mal entretenue.

Pour justifier sa présence dans l’appartement d’Antoine, Mathieu prétend qu’il est un de ses potes, "l’architecte de Montpellier". Gobant sans méfiance ce mensonge, Simon, Nicole et Dominique trouvent normal qu’il se joigne à eux, après l’enterrement de leur "ami commun". Par contre, cette réunion ne se conçoit pas sans Gégé. Il faut absolument lui annoncer la triste nouvelle ! Démarche d’autant plus délicate qu’il vient d’être plaqué par sa femme. Il accepte pourtant de rejoindre le groupe. En apprenant les circonstances de l’accident, il est sidéré et erre comme un somnambule. Nicole propose de publier dans un journal "un p’tit quelque chose. Comme un dernier message de notre part, pour l’accompagner." On consulte des modèles. Tellement risibles que l’initiative tombe à l’eau. Tout à coup Gégé explose : "Antoine n’a pas glissé. Il s’est foutu en l’air."

Simon, Nicole et Dominique ont beau repousser cette idée du suicide. Elle leur donne mauvaise conscience et déclenche le grand déballage. On accuse Gégé d’être un pingre à la sexualité douteuse. Sa femme Brigitte est "très jolie", mais n’a pas inventé la poudre. Et si pour Dominique, Antoine était un type généreux, Simon le trouvait irresponsable et égocentrique. On s’était d’ailleurs arrangés pour partir en vacances sans lui. Ces affrontements souvent caustiques soulignent la superficialité de leurs relations. Simon connaît Gégé depuis très longtemps, mais ne sait pas ce que produit sa PME. La mort d’Antoine, qui devait être son témoin, lui sert de prétexte pour reporter son mariage avec Nicole. Celle-ci est ébranlée par cette reculade. Elle aime Simon depuis huit ans et cette cérémonie comblerait son goût des conventions. Cependant peut-elle faire confiance à un homme irrésolu ? Directe et même cynique, Dominique ne mâche pas ses mots. Elle se laisse pourtant parfois gagner par les émotions "qui nous différencient des animaux." Partagée entre sa famille et son amant Antoine, elle fonce dans la vie et assume seule ses choix.

Gégé (un diminutif qui l’horripile) a soif de compassion et de vérité. Mari infidèle, il tient à sa femme et reproche aux autres de la mépriser et de rester indifférents à ses déboires. Pourquoi continuer à singer l’amitié ? Invité surprise, Mathieu, tout en profitant de la situation, observe avec lucidité ce règlement de comptes. Un regard extérieur et utile. Nicole comprend qu’elle doit rechercher la simplicité et oser s’affirmer. Par un pieux mensonge, Mathieu rassure Dominique sur l’amour d’Antoine. Et emporté par sa fougue, il prête à celui-ci un altruisme qui idéalise son image.

Campé avec jovialité par Thierry Janssen, cet intrus bienveillant souligne l’importance de l’écoute et des confidences. Les autres comédiens donnent vie à des personnages qui ont besoin d’être apaisés. Il est dommage que Pascal Elbé n’éclaire pas mieux les causes de la distance qui les sépare. A l’abri de leur humour grinçant, qui rend certains échanges très drôles, ils refusent de nous laisser pénétrer dans leur intimité. Autre regret : une mise sur orbite particulièrement laborieuse. Plusieurs séquences illustrant la poltronnerie de Simon s’enlisent dans les mêmes effets comiques et empêchent l’action de démarrer. Conçu par Lionel Lesire, l’appartement raffiné d’Antoine suggère la solitude dans laquelle il vivait. Solitude insoupçonnée par ses "amis".