Vendredi 2 octobre 2015, par Jean Campion

Une adaptation fougueuse et maîtrisée

Thierry Debroux aime mettre en scène les héros qui ont émerveillé son enfance ou marqué sa jeunesse. A 18 ans, il se sentait à la fois Télémaque et Ulysse. On comprend son envie de monter "L’Odyssée" (2014). Sa fascination pour les films de cape et d’épée l’a poussé à faire vivre "Le Capitaine Fracasse" en 2009 et d’Artagnan aujourd’hui. Pour adapter à la scène "Les Trois mousquetaires", il s’appuie sur l’ingéniosité d’une fidèle équipe de scénographes et sur la vitalité d’une trentaine de comédiens, qui enchaînent les 27 tableaux à toute allure. Emportés par ce tourbillon, nous savourons un spectacle très maîtrisé, haut en couleurs et pimenté par de nombreux traits d’humour.

Transformer le roman-fleuve d’Alexandre Dumas en une version scénique de deux heures impose un sérieux élagage. L’histoire : à 18 ans, d’Artagnan monte à Paris avec l’espoir d’intégrer le corps des mousquetaires, une troupe d’élite au service du roi Louis XIII. Gascon impétueux, il se retrouve avec trois duels sur les bras. Mais Athos, Aramis et Porthos, les trois mousquetaires, avec lesquels il devait croiser le fer, sont séduits par son panache. Ils acceptent ses excuses et décident de former un quatuor indivisible. Un véritable cauchemar pour les gardes du cardinal Richelieu ! Celui-ci fomente un complot pour prouver au roi l’infidélité de son épouse. Par amour pour Constance Bonacieux, la confidente de la reine, d’Artagnan accepte une mission périlleuse, afin de déjouer le piège. Grâce à sa bravoure, l’honneur d’Anne d’Autriche sera sauf, le roi apaisé et Richelieu contraint de nommer d’Artagnan lieutenant des mousquetaires.

Malgré les nombreux rebondissements, l’intrigue, concentrée sur l’épisode des ferrets de la reine, reste claire. Comme souvent chez Dumas, elle se nourrit de vengeance. Témoin de l’assassinat de son père par Rochefort, d’Artagnan tue le traître ("celui qui ne meurt qu’à la fin") au terme d’un combat épuisant. En condamnant à mort Milady, il venge sa bien-aimée et son ami Athos, victime de cette femme perverse. Quelques traits permettent de typer la plupart des personnages. Autour du héros : Athos, un compagnon d’une grande noblesse morale, le rusé Aramis, Porthos, le costaud bambocheur et l’intrépide Constance Bonacieux. En face : le machiavélique Richelieu manipule Rochefort et l’infâme Milady. Pris dans les remous des évènements, Bonacieux retourne sa veste, le duc de Buckingam, amoureux désespéré, se montre loyal, Felton tue par patriotisme et le couple royal tangue dangereusement. Les comédiens donnent vie à ces personnages évidents, en jouant le jeu avec conviction. Priorité à l’action !

Chez les mousquetaires, on a l’épée facile. Il est donc normal que le spectacle soit truffé de combats, orchestrés avec précision par Jacques Cappelle. Pour passer en souplesse d’un lieu à l’autre, la scénographe Catherine Cosme se sert de grands caissons pivotants, sur lesquels sont projetées les vidéos d’Eve Martin. Une technique impeccable, associée à des trouvailles qui titillent l’imagination et détendent l’atmosphère. Un vrai cheval symbolise l’Aventure, alors que les mousquetaires parcourent le pays, juchés sur des chevaux mécaniques, signés Ronald Beurms. Les parapluies qui permettent de traverser la Manche se muent en accessoires d’un ballet sur "Singing in the rain".

Planchet, le valet de d’Artagan, nous amuse par ses ombres chinoises désarmantes et ses anachronismes, mais aussi par son pragmatisme de ch’ti. Son maître, à l’accent méridional est un jeune homme impulsif, bouillant, généreux, qui affiche la tranquille audace de celui qui se croit invulnérable. A propos des mousquetaires, il affirme : "Je n’ai pas l’habit mais j’ai l’âme." Par ses interventions, Planchet ramène le héros sur terre. La liberté de ton, adoptée par Thierry Debroux, fait écho à celle d’Alexandre Dumas, qui ne craignait pas de violer l’Histoire, puisqu’il lui faisait de beaux enfants.

Jean Campion