Lundi 26 mars 2018, par Yuri Didion

Un pour tous, tous pour un.

Sous le jeu de mot se cache une oeuvre majeure de la renaissance européenne : le Discours sur la Servitude Volontaire. Dans ce travail de jeunesse, Etienne de la Boëtie réfléchit à ce qui permet la tyrannie. Comment un homme domine-t-il tout un peuple ? Pourquoi un millier d’homme se soumet-il ainsi à la volonté d’un seul ? Et surtout, comment peut-on se libérer des tyrans ?

Charly Magonza et Agathe Mortelecq nous livrent, dès l’entrée, une première analyse du texte : une salle en préparation, pendrillons relevés, encombrée de matériel scénique, un comédien qui écoute sa musique assis sur un baffle. Anarchie. Car c’est bien de cela aussi que parle la Boëtie : en se levant contre l’ordre établi, en destituant les dictateurs, que reste-t-il, et quel avenir ? Les peuples peuvent-ils se gouverner eux-mêmes ?

La première partie du spectacle donnerait envie d’en douter. L’idée centrale, le comédien qui n’est pas prêt, joue contre le théâtre. Cependant, bien que ce stratagème soit un peu élimé - eh bien, oui, personne n’est dupe, tout le monde sait qu’il connaît son texte - il entraîne une proposition très pertinente : le directeur des Riches-Claires, Eric De Staercke, impose : "Si, le public est là, il faut jouer". Le spectacle s’ouvre sur la tyrannie à l’oeuvre.
Le comédien s’y plie (évidemment, sinon, il n’y aurait pas de spectacle), et assume le jeu du manque de préparation. Il attaque le texte sur une citation : "Il n’est pas bon d’avoir plusieurs maîtres ; n’en ayons qu’un seul" au trait volontairement grossi : il se moque du théâââtre, du genre classique et poursuit avec une série de "C’est comme ça que je le jouerais". Un rappel du jeu et de la préparation qui met à distance, bloque l’identification, et à mon sens, par le côté désorganisé de la chose, décrédibilise légèrement le comédien.
Une première partie un peu laborieuse au final, d’autant que la proposition géniale de la démonstration d’autorité de De Staercke n’est pas réutilisée.

Une seconde partie se dessine néanmoins, dès que le comédien plonge dans le jeu incarné et nous présente une série de personnages plus riches l’un que l’autre. Dès l’apparition du balayeur, il fait preuve d’une inventivité et d’un dynamisme fou. Il passe du rebelle de confettis au héros antique Cassius. Il est précis, ludique et entraîne le public dans un univers humoristique et critique.
Il propose d’ailleurs une réinvention du texte bien construite, qui ne fait qu’augmenter l’intérêt pédagogique de ce spectacle, tout en y intégrant régulièrement des passages de ce grand texte.
Qui plus est, cette adaptation du texte met en valeur une question qui n’est pas abordée par La Boëtie : celui qui renverse un tyran ne prend-il pas sa place ?