Lundi 14 octobre 2013, par Laura Bejarano Medina

Un indigné moderne

Habituée aux planches du théâtre des Martyrs, la compagnie Théâtre en Liberté reprend l’un des chefs-d’œuvre de Molière en portant à la scène un Misanthrope cynique et révolté. Sans altérer les alexandrins de l’époque, le metteur en scène Daniel Scahaise insuffle une forme moderne et un regard contemporain à ce monument du théâtre classique.

C’est dans une ambiance festive et rock ’roll digne des soirées mondaines les plus huppées que s’anime Le Misanthrope de Daniel Scahaise. Loin des fastes et des fausses pudeurs de la Cour, on s’étonne de voir les personnages, habillés et coiffés au goût du 17e siècle, danser et se déchaîner sur le tube « Should I Stay or Should I Go ». Très vite, les masques de fête et les perruques poussiéreuses tombent, laissant place à des apparences plus familières. Par ce début fracassant, le metteur en scène donne le ton et expose l’audacieux décalage entre le moderne et le classique mis en évidence tout au long du spectacle.

À travers une scénographie élégante et fantaisiste proche du salon bourgeois, Daniel Scahaise nous raconte l’indignation d’Alceste contre l’hypocrisie et les faux-semblants de la Cour. Alors qu’il tombe amoureux de Célimène, jeune veuve volage et frivole, qui personnifie tout ce qu’il rejette, sa jalousie, son franc-parler et son mépris pour l’art de plaire vont lui causer du tort et susciter la moquerie. Par une utilisation intelligente du plateau, les personnages de Molière évoluent tantôt à l’avant-scène parsemée de bouts de papiers déchirés, tantôt sur une structure penchée, laquée de noir, qui reflète les images déformées des personnalités narcissiques et l’excentricité de la haute société.

Malgré de beaux moments où triomphent la finesse et le ridicule des caractères, Le Misanthrope de Daniel Scahaise souffre quelque peu de l’ambiguïté qui subsiste entre le drame et la comédie dans la pièce de Molière. Le manque d’investissement dans l’émotionnel des personnages n’apporte pas assez de relief au drame, tandis que le manque de vigueur dans les enjeux et de vivacité dans la parole ralentissent la comédie. À la fois torturé et puéril, le personnage d’Alceste survole la bêtise et l’admiration sans assumer complètement les deux extrêmes.

Perdu dans cet entre-deux, le spectacle propose un compromis intéressant dans lequel l’éclat et l’intensité font défaut au profit d’un détachement qui illustre les vices et la vanité de la société mondaine. Au-delà de cet excès de légèreté qui crée une absence de profondeur, Le Misanthrope de Scahaise ne trahit pas l’esprit de Molière mais l’inscrit dans une dimension nouvelle, celle de la modernité.

Laura Bejarano Medina