Samedi 24 octobre 2020, par Jean Campion

Un Tourbillon d’émotions

Un prix décerné à un de ses courts-métrages avait permis à Alexis Michalik de rencontrer les détenus d’une Maison centrale. La conversation avec ces cinéphiles passionnés avait dérivé sur leur quotidien. De longues peines qui étiraient le temps inexorablement. Remué par ces échanges, Michalik s’est imaginé "ce qui avait pu se passer à l’intérieur de ces murs". Inventivité et maîtrise, atouts majeurs du "Porteur d’histoire" (2013) et d’"Edmond" (2016), lui permettent de mobiliser notre imaginaire. En nous embarquant dans des intrigues, qui s’emboîtent comme des poupées russes, "Intra Muros" nous raconte une histoire palpitante, parfois drôle et souvent émouvante.

Qu’est-ce que le théâtre ? Après avoir approuvé et commenté quelques réponses du public, Itsik Elbaz devient Richard, un metteur en scène sur le retour. Les temps sont difficiles. Espérant une forte affluence et un cachet en conséquence, il a accepté d’animer un atelier théâtre, dans une centrale pénitentiaire. Hélas ! Deux détenus seulement répondent à l’appel. Ranimant ses bonnes intentions, Alice, une assistante sociale, dissuade Richard d’abandonner. Avec le soutien de Jeanne, une actrice, et d’Alice, celui-ci entame la première séance par des jeux. Comme le lancement de la balle imaginaire. Kevin, un jeune voyou, y participe avec désinvolture. Mais Ange, un Corse taiseux, en tôle depuis vingt-sept ans, méprise ces pitreries.

Invité à raconter un souvenir d’enfance, Kevin se déchaîne. Il revit rageusement les circonstances de son arrestation et la rupture avec sa mère. Ce monologue déclenche une histoire pleine de rebondissements. Comme les pièces d’un puzzle, les séquences s’ajustent les unes aux autres, pour éclairer les liens surprenants entre les principaux personnages. Flash-back et changements de décor à vue libèrent la pièce des contraintes de l’espace-temps. En exploitant à nouveau "le théâtre dans le théâtre", Alexis Michalik stimule notre imagination.

Metteur en scène enthousiaste et intarissable, Richard (Itsik Elbaz) s’est douloureusement séparé de Jeanne ( Edwige Baily). Mais celle-ci continue à partager sa passion pour le théâtre. Ange (Fabrice Rodriguez), qui croupit en prison depuis des années, a pris sous son aile le bouillant Kevin ( Marwane El Boubsi). Le rôle d’Alice (Julia Le Faou) révèlera progressivement son importance. Des protagonistes attachants, incarnés par cinq excellents comédiens. Ils jouent juste et, sous la houlette du metteur en scène Julien Poncet, changent avec aisance de personnage, d’époque, de décor, de costume. Pas de temps mort. On se laisse envoûter par la fluidité du spectacle. Bruitage et musique en direct renforcent notre adhésion.

Certains ont reproché à "Intra Muros" de ridiculiser les exercices thérapeutiques, d’ignorer le poids de l’univers carcéral ou d’idéaliser des prisonniers de centrale. Ils se trompent de cible. Alexis Michalik n’est pas un avocat mais un remarquable conteur. Grâce à son esprit inventif, il fait respirer la vie. En pénétrant dans les existences cabossées de Kevin et d’Ange, nous partageons leurs colères, leurs espoirs et leurs souffrances. "Vivre, c’est être traversé par des émotions".

Jean Campion