Mercredi 25 décembre 2019, par Jean Campion

Un Théâtre vivant au rythme d’un sitcom

Grands amateurs de séries, Marie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux ont créé en 2007, une pièce de théâtre, qui reprend les codes des sitcoms, en particulier ceux de "Friends". Joli succès mais goût de trop peu : chaque épisode n’avait été joué que 10 fois. Cette frustration les a poussés à refondre le projet. "On a retrouvé nos personnages comme de vieux amis qu’on avait un peu oubliés, mais avec qui on se sent tout de suite à l’aise. On leur a retravaillé le costume, on les a mis dans de nouveaux face à face et on a écrit la version 2.0". Quatre épisodes nous plongent dans le quotidien d’un théâtre belge, réveillé par l’irruption d’une metteuse en scène révolutionnaire.

Marc (Pierre Poucet), son directeur, est fier d’avoir engagé, pour le prochain spectacle, cette Nadia Garaud. C’est un homme ambitieux, mais brouillé avec les réalités matérielles. Il faut le voir se servir d’un micro. Grâce à sa diplomatie, il réussit souvent à faire travailler les autres à sa place. Pourquoi Cécile (Martine Willequet) ne rédigerait-elle pas, comme l’an dernier, le discours qui lance la saison ? Refus net. La "dévouée" secrétaire, qui n’a plus qu’un quart temps, oblige le patron à ouvrir les yeux sur les difficultés financières. Dans son vestiaire, Isabelle ( Catherine Decrolier), la costumière, aime faire la parlotte. En particulier avec Marc, dont elle est amoureuse. Très disponible, elle aide David (Frédéric Nyssen) à répéter son texte. Ce comédien , qui n’a plus la cote, s’accroche à son rôle, comme à une bouée de sauvetage. Mais il n’a pas pris la peine de lire la pièce. Aussi, sous le contrôle implacable d’Isabelle, il patauge lamentablement, en apprivoisant des répliques nébuleuses.

Confronté à un jeune et brillant partenaire, il mesure son déclin. Benjamin (François Heuse) fait toujours confiance à sa bonne étoile. Lors du casting, aucun doute, il EST le Gustave de la pièce. Quelle chance d’être dirigé par une metteuse en scène, dont il a déjà apprécié le talent ! Idéaliste, ce petit prodige ne se laisse jamais démonter. On lui refile, comme une patate chaude, l’animation théâtrale des gamins du quartier, le samedi matin. Stressé, il cherche la bonne approche, le ton juste et... est récompensé par une chance insolente. L’épreuve de force devient un conte de fées... Auréolée de ses succès parisiens, Nadia Garaud (Emmanuelle Mathieu) se livre à un grand numéro. Bien campée sur ses jambes, puis trônant sur un fauteuil roulant, elle orchestre les répétitions, avec une autorité despotique. Au grand dam de David, son souffre-douleur. Les autres acteurs essaient d’exploiter des accessoires surprenants et de comprendre ses justifications ésotériques.

Pour rire de leur métier, Marie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux se servent de caricatures mais aussi de coups de griffe. David représente le comédien qui lutte contre l’oubli. Il gagne sa vie en faisant du doublage ou de la pub. Quand il essaie de figurer dans une prochaine distribution ou de faire jouer une pièce, qu’il est fier d’avoir écrite, il a droit à de vagues promesses. Dans ce microcosme, on s’embrasse beaucoup, mais on savoure les critiques cruelles qui démolissent un concurrent. Egocentrisme et solidarité sont inextricables. Cécile, la secrétaire, qui s’étiolait dans son bureau, revit grâce à la scène. En participant à une aventure collective, elle satisfait son besoin de reconnaissance.

"Saison one 2.0" se coule dans le moule du sitcom. Courtes séquences enchaînées par des jingles et ponctuées de photos des personnages prenant la pose. Le décor pratique permet de sauter souplement d’une scène à l’autre et d’imprimer au spectacle un rythme nerveux. Truffée de rebondissements providentiels et de quiproquos classiques, l’intrigue nargue la vraisemblance. Peu importe. Six très bons comédiens nous font beaucoup rire, en nous montrant l’envers du décor. Nous y découvrons des personnages parfois grotesques, souvent risibles mais attachants. Un bémol : quelques scènes s’essoufflent ou abusent des mêmes gags. Cependant des clins d’oeil, comme ces appels malicieux à notre patience, nous montrent que les auteurs misent sur notre complicité. Pari gagnant !

Jean Campion