Mardi 8 octobre 2013, par Jean Campion

Un Testament empoisonné

Florian Zeller reconnaît que deux de ses pièces, "Si tu mourais" (2006) et "La Vérité" (2011) auraient pu s’appeler : éloge du mensonge. Michel, le héros de "La Vérité" a sincèrement l’impression d’aimer et de protéger sa femme, en lui cachant une liaison. Dans "Si tu mourais", Anne veut savoir qui était réellement l’homme qu’elle a aimé. Assaillie par le doute, elle entraîne le spectateur dans une dangereuse recherche de la vérité, où la réalité se mêle à l’imagination, à la peur et aux fantasmes.

Anne Wender n’a pas fermé l’oeil de la nuit. Hier, dans le bureau de Pierre, son mari, où elle n’avait plus mis les pieds, depuis sa mort accidentelle, elle est tombée sur des documents troublants : les fragments d’une pièce qui tourne autour d’un auteur succombant aux charmes d’une jeune actrice et des notes concernant une certaine Laura Dame. Devant son désarroi, son ami fidèle, Daniel, tente d’étouffer ses soupçons. Pierre t’aimait. Pourquoi te faire du mal et salir sa mémoire, en l’imaginant infidèle ? Des arguments qui ne calment pas son besoin de vérité. Même si celle-ci est blessante.

Ces derniers temps, Anne avait eu l’impression que Pierre lui échappait. Des flash-backs nous montrent que, tout en étant attentionné, il s’enferrait dans des contradictions et des mensonges. Avec des sourires de gamin pris en faute. Anne s’empresse de vider le bureau de Pierre et de le mettre en vente. Comme pour l’exorciser. Puis fouille fiévreusement le passé, n’hésitant pas à mentir, pour traquer la vérité. Qui était exactement l’homme qu’elle croyait connaître ? Ce visage aimé n’était-il qu’un masque ? Taraudée par ces questions, elle déserte son cabinet médical et se noie dans une enquête embrouillée par les non-dits et les révélations contradictoires. Par son jeu sobre et nuancé, Stéphanie Moriau rend émouvant le drame de cette femme fragilisée mais résolue.

Pour Florian Zeller, "Le mensonge est une preuve d’amour et l’honnêteté, au contraire, une trahison. En son nom, on se sent le devoir de dire la vérité, quitte à bousiller l’autre. L’aveu n’est pas le prolongement de l’amour. Aimer ce n’est pas encombrer l’autre de ténèbres." Successivement nets et flous, les personnages, qui entourent Anne, refusent la transparence. De plus en plus inquiet, Daniel joue les saint-bernards, mais reste mystérieux. Interrogée par une épouse aux abois, Laura Dame s’efforce de l’apaiser. Et Pierre, en partance pour Nice, quittait Anne, en lui laissant l’image d’un homme serein.

Les intrusions dans le passé, les investigations stériles, les silences et les volte-face brouillent les pistes. Par sa mise en scène rigoureuse, Vincent Dujardin nous aide à maîtriser les passages subits d’une réalité palpable à une vérité rêvée. Sous son impulsion, les comédiens donnent vie à des personnages qui, tout en s’affirmant clairement, laissent deviner une part d’ombre. Empoisonnée par le testament que Pierre lui a involontairement légué, Anne lui répond par une déclaration d’amour. Si tu mourais, qu’est-ce qu’il me resterait ?...