Lundi 26 septembre 2022, par Jean Campion

Un Secret justifiable ?

Myriam Leroy et sa soeur Hélène sont nées d’un don de sperme anonyme. Elle l’a appris à 35 ans. Par la bouche de son papa, qui tenait à les prévenir, au cas où elles auraient besoin d’une greffe. Comme ses parents ont détruit les documents relatifs à la PMA, elle n’en saura pas plus. Mais ce choc l’a poussée à rencontrer d’autres enfants procréés par des donneurs anonymes et à faire entendre leurs vérités. Pas dans un documentaire ( la plupart, craignant de blesser leur père social, voulaient cacher leur identité), mais dans un spectacle, où les corps en mouvement des comédiens révèlent le non-dit.

Julie Duroisin, Sandy Duret, Emmanuel Dell’ Erba et Antoine Cogniaux se relaient pour démystifier le "Il était une fois... ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants", en mêlant à ces témoignages chansons et danses. Hélène est parfois triste, parce qu’elle ne saura jamais à quoi ressemble son père biologique. Elle bute sur son anonymat. Comme plus ou moins 50.000 enfants en Belgique. Aucun homme (sauf test ADN) ne peut être absolument sûr d’être le père de son enfant. Cette incertitude est une des justifications du secret. Comme la misogynie. Selon une enquête , datant des années 70, 30 % des pères élèveraient à leur insu, un enfant qu’ils n’ont pas conçu. En réalité, ces fausses paternités sont dix à cent fois moins nombreuses. Mais, soutenue par l’obsession masculiniste de l’inconduite des femmes, la fake-news résiste.

"Sans anonymat, plus de donneurs de sperme !" clame un débatteur très énervé. Sereinement son adversaire conteste cette prédiction : dans les pays où on a levé le secret, le nombre de donneurs s’est maintenu. Cette chamaillerie confirme que l’intérêt de l’enfant est totalement ignoré. On se permet de faire des cocktails de spermes différents. Parfois on choisit le donneur de gamètes mâles, en fonction de ressemblances avec le partenaire. Mais on ne respecte pas l’article 7.1 de la Convention des Nations Unies des droits de l’enfant, qui stipule : "L’enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents."

Tout petit, Cédric avait l’impression de venir d’une autre planète. Menacée par des problèmes d’argent, sa mère fut obligée de confier à ses enfants qu’ils n’étaient pas les fils du père qu’ils détestaient. En s’embrouillant dans ses mensonges, elle finit par avouer une vérité qui les fit éclater de rire : "C’est fou, on a des parents qui n’ont jamais eu de relation sexuelle entre eux et qui ont eu trois enfants." Parfois la révélation est plus dramatique. Des parents, qui avaient eu des triplés par PMA, ont eu plus tard un quatrième fils, naturellement. Lorsqu’ils le mirent au courant, il fondit en larmes : "Je n’ai plus de frères."

Tout en traitant sérieusement ce sujet qui lui tient à coeur, la journaliste Myriam Leroy ne voulait pas plomber l’ambiance. Aussi elle a glissé dans "ADN" des séquences cocasses. Emmanuel Dell’ Erba est très drôle, lorsqu’il décrit le cadre dans lequel le donneur est invité à éjaculer . L’évocation de Joseph, époux d’une vierge et père nourricier du Christ, suscite des sourires, puis la salle éclate de rire, en écoutant une version chantée de "Jésus, à 12 ans, au temple". La mise en scène tonique de Nathalie Uffner incite les comédiens à dynamiser le spectacle par des danses délurées et des chansons narquoises comme "Scandale dans la famille".

Les tests ADN ont la cote. De plus en plus de gens s’interrogent sur leur identité, leur filiation, avec des motivations diverses. Les enfants adoptés sont éclairés sur leur origine, alors que ceux nés d’une PMA sont condamnés à l’ignorance. Dans cette "narration chorale", Myriam Leroy ne propose pas de solution. Mais avec son style incisif et son ironie, elle déplore la frustration des "enfants du tabou" et nous fait ressentir leurs émotions.

Jean Campion

Photos : © Prunelle Rulens