Vendredi 26 avril 2013, par Jean Campion

Un Match révélateur et vivifiant

Depuis sa création triomphale, à Broadway en 1981, "L’Affrontement " a été joué dans tout le continent américain et dans de nombreux pays d’Europe. Si cette pièce a passionné des publics très différents, c’est sans doute parce que Bill C. Davis lui a donné une dimension universelle. Certes, elle oppose deux représentants de l’Eglise catholique, sourde à la nécessité d’une modernisation. Mais elle confronte avant tout un homme vieillissant, rongé par le doute, à un jeune idéaliste revenu de l’enfer, qui ne peut plus se permettre de perdre la foi.

A la fin de sa messe, dans un esprit d’ouverture, le père Tim Farley invite les fidèles à poser librement les questions qui les préoccupent. Une paroissienne demande si ressembler au Christ, c’est avoir une barbe et des cheveux longs. Une question plus sérieuse sur l’ordination des femmes oblige Farley à louvoyer, pour ne pas s’incliner dans un échange musclé. Lorsqu’il retrouve l’intervenant contestataire dans son bureau, il lui passe un savon. S’il veut devenir diacre puis prêtre, Mark Dolson doit surveiller sa tenue, son langage et surtout renoncer à provoquer ses paroissiens. Cependant Farley n’est pas psychorigide comme Burke, le directeur du séminaire, et il relève le défi de lui enseigner le tact.

Il lui donne surtout des leçons de prudence et de diplomatie. Dolson a intérêt à couper les ponts avec deux amis séminaristes, soupçonnés d’homosexualité. Et la première qualité d’un sermon est de ne pas heurter les fidèles. Avec l’habileté d’un prédicateur chevronné, Farley l’oblige à remplacer systématiquement le "vous" par le "nous" et à glisser dans son texte, des détails anecdotiques. Pour " l’humaniser ". Dolson s’efforce de dire aux paroissiens ce qu’ils ont envie d’entendre. Mais son esprit rebelle prend le dessus et il se lance dans des imprécations à la Savonarole. Un fiasco désopilant !

Malgré ce cuisant échec, les deux hommes se rapprochent et se laissent aller aux confidences. Avec pudeur. Si Farley a besoin de séduire son auditoire, d’aller aux courses hippiques tous les lundis et de boire sans modération, c’est qu’il supporte mal le sacrifice du prêtre : seul pour que les autres ne le soient pas. Gâchant sa jeunesse, Mark Dolson a touché le fond, allant jusqu’à se prostituer. Maintenant que la foi l’habite, il veut ressentir "la vraie joie du prêtre, qui est d’aider les siens par tous les moyens, même en prenant des risques."

Nourrie par des dialogues incisifs, cette pièce se présente comme un combat en neuf rounds, de plus en plus intense. C’est aussi une comédie très drôle à l’humour tantôt mordant, tantôt coloré de tendresse. Il faut voir Jean-Claude Frison (Farley) encaisser les maladresses de son élève ou, complètement ivre, se défouler contre Burke (beurk !). Avec la même maîtrise, il nous sensibilise à la nostalgie d’un homme, qui a trahi ses rêves de jeunesse. Dolson est un séminariste mûri par une vie douloureuse. On ne le perçoit pas au début car, en l’incarnant, Bernard d’Oultremont se contente de jouer le chien fou. Heureusement, très vite il devient un idéaliste déterminé et attachant. Forts et fragiles, ces personnages ont du mal à se séparer et le spectateur à les quitter. En se remettant en question, ils nous invitent, sur un ton léger et grave, à réfléchir à nos choix de vie.