Jeudi 4 octobre 2007, par Jean Campion

Un Humour décapant

"Dieu habite à Düsseldorf"...N’essayez pas de décoder ce titre bizarre. C’est une savonnette, sur laquelle vous glissez pour vous retrouver dans un spectacle drôle et grinçant, qui passe à la moulinette certains travers de notre société.

Les six premiers sketches prennent leur élan sur le même tremplin : un homme frustré s’adresse à un "spécialiste". Qu’il cherche désespérément un ami, un boulot, une cause de suicide, la reconnaissance de son existence ou qu’il manifeste d’autres besoins plus inattendus (ménageons l’effet de surprise), le consultant professionnel, symbole d’une société "qui pense pour vous" a LA solution choquante mais radicale. Les trois dernières séquences sont plus disparates, mais le mécanisme d’un engin farfelu, des retrouvailles familiales rocambolesques et l’exaltation de deux artistes qui se gargarisent de leurs félicitations nous font respirer le même parfum d’absurdité. On retrouve l’humour provocant de "Palace", la mémorable émission télévisée de Roland Topor et Jean-Michel Ribes.

En assistant à ces rencontres surréalistes, on rit beaucoup, mais on peut aussi percevoir l’amertume de l’auteur. En effet, même si les personnages n’ont pas d’épaisseur humaine, nous sommes interpellés par cet écrasement des paumés et ces victoires cyniques des pragmatiques. Pas d’apitoiement ni de révolte, mais la nostalgie d’un monde moins cruel.

Sébastien Thiéry développe ses idées originales, un brin saugrenues,
suivant une logique implacable, dans des dialogues vifs, nerveux, qui font songer parfois aux échanges entre Chevalier et Laspales. On peut regretter cependant que la chute de l’une ou l’autre scène manque de tranchant et surtout que les sketches ne se passent pas le relais pour nous entraîner dans un délire complice. Ils s’additionnent, séparés par des intermèdes musicaux. Il est dommage que le rôle des deux musiciens-chanteurs (que l’on voit en ombres chinoises) consiste seulement à meubler les transitions et à ponctuer deux ou trois répliques. Ils auraient pu participer davantage au jeu et contribuer à l’unité du spectacle.

La galerie de portraits qui défilent permet aux deux comédiens de jouer les caméléons, tout au long de la soirée. Alexandre Crépet et Michel Hinderyckx, dont certaines interprétations sont fort subtiles, incarnent alternativement le vulnérable et le costaud. Le metteur en scène a ainsi évité le syndrome Laurel et Hardy. En vivant des situations absurdes avec le plus grand sérieux, les acteurs créent un décalage qui nous fait mieux apprécier l’humour de Sébastien Thiéry. Un humour "mauvais enfant", véritable vaccin contre la pensée unique et
les bons sentiments qui nous feraient avaler des couleuvres.