Mardi 26 février 2013, par Jean Campion

Un Humour de plus en plus... nécessaire

Vingt-cinq ans après sa mort, Pierre Desproges est bien vivant et remplit les salles de théâtre. Témoins, les succès remportés par "Vivons heureux en attendant la mort" (monté par Dominique Rongvaux et Fabrice Gardin en 2012) et la trilogie concoctée par Michel Didym. Après "Les animaux ne savent pas qu’ils vont mourir" (2003) et "Chroniques d’une haine ordinaire" (2012), il nous propose le troisième volet : "Savoir-vivre". Un spectacle incisif et jubilatoire, qu’il joue avec Catherine Matisse.

Le duo éclaire différemment les monologues de Desproges. On voit Adam et Eve au paradis terrestre et on entend la discussion crispante entre un papa et sa petite fille, à propos de la "polésie" à inventer, pour la fête des mères. Mais le costume masculin et le chapeau espiègle de Catherine Matisse montrent que les deux comédiens incarnent la lucidité tragique et cocasse d’un auteur taxé de misogynie. Certes, il se demande si cet "être humain de sexe non masculin" a une âme et nous décrit cyniquement ce qu’on trouve dans une femme, coupée dans le sens de la longueur. Mais il affirme : "Je suis très féminin. Je n’ai pas l’esprit de zinc, ni l’esprit football. J’aime bien cueillir des fleurs et m’occuper de mon basilic."

Michel Didym a subtilement agencé des extraits du "Manuel du savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis", quelques "Minutes nécessaires de monsieur Cyclopède" et des textes connus ou inédits. Une seule réserve : le remake de l’interview de Françoise Sagan, qui fait ronronner le public devant une séquence archi-diffusée par la télé. La plupart des autres scènes soulignent l’irrévérence et la violence comique d’une langue, où se mêlent brio et grossièreté, élégance et provocation. Soutenus par un mur de phares, qui nous incitent à garder les yeux ouverts, Catherine Matisse et Michel Didym s’épaulent, se contredisent, raisonnent, pontifient et virevoltent avec aisance. Deux clowns tristes qui prennent plaisir à nous ETONNER, en nous donnant les recettes pour rentabiliser la colère de Dieu ou la minute de silence.

Parfois, le goût de l’absurde se marie avec une ironie grinçante. "Les enfants sont des cons" ou "Les gens n’ont pas d’humour" seraient des affirmations choquantes, si elles n’étaient pas suivies de commentaires désopilants. Comment résister à la défense des "non-handicapés" ou à la démystification des cadeaux bricolés par les chers bambins à l’école ? Ecoeuré par l’imposture et le mensonge, Desproges déclare sa haine à l’humanité. C’est en réalité de la colère. Le misanthrope cache son amour des hommes, sous un flot de sarcasmes. Son sens de la dérision nous aide à lutter contre les préjugés, l’esprit grégaire, la dictature de l’audimat et le prêt-à-penser. On aimerait que les humoristes, qui se bousculent sur nos écrans de télé, titillent nos consciences assoupies, avec la même insolence rageuse.

Dans un de ses "Textes de scène", Pierre Desproges avoue : "Le jour de la mort de Brassens, j’ai pleuré comme un môme. J’ai vraiment pas honte de le dire. Alors que - c’est curieux - mais, le jour de la mort de Tino Rossi, j’ai repris deux fois des moules." Le poète et l’humoriste ont suivi des chemins parallèles. L’auteur de "L’Auvergnat" aimait composer des chansons, mais rechignait à les défendre sur scène. Et Desproges déclarait : "Mon seul métier est l’écriture, le reste n’est que le service après vente." La poésie de Brassens défie le temps et on comprend pourquoi Michel Didym affirme : "Desproges avait quarante ans d’avance."