Jeudi 28 septembre 2017, par Jean Campion

Un "Hamlet" accessible et convaincant

Créée probablement en 1603, la tragédie d’ "Hamlet" a été mise à toutes les sauces. Le programme, publié par le théâtre du Parc, dresse un inventaire impressionnant de ces curieuses transformations. Le premier à incarner le jeune prince du Danemark était un vieil acteur bedonnant. Au 17e siècle, Thomas Betterton battit un record, en endossant le rôle de 22 à 72 ans. Et Sarah Bernhardt arracha des larmes au public français par son jeu emphatique. Opposition des morphologies mais aussi des adaptations et des conceptions de ce personnage complexe. Héros, tour à tour, romantique, classique, politique, il fait les délices des psychanalystes. En proposant, dans une langue moderne et vigoureuse, une version raccourcie de la tragédie de Shakespeare, Thierry Debroux n’a pas cherché à imposer une orientation. Sa mise en scène vise à exploiter "l’inquiétude et le tourment qui semblent habiter l’acteur idéal : Itsik Elbaz".

La cour de Russie fête le nouveau roi Claudius. Prostré sur le cercueil de son père, Hamlet ignore cette liesse. Il est révolté par la rapidité avec laquelle son oncle a épousé sa mère. A ce mariage, on a servi froides, les viandes cuites pour l’enterrement de son père ! Averti par son ami Horatio, Hamlet se rend à l’endroit où, depuis deux nuits, apparaît le spectre du roi défunt. Celui-ci, accusant Claudius de l’avoir empoisonné pour s’emparer de son trône et de sa femme, demande à son fils de le venger. Mission acceptée. Pour déjouer les soupçons de Claudius, Hamlet feint la folie. Il nargue, par ses provocations de sale gosse, Polonius, le conseiller du roi et désespère sa fille Ophélie : il prétendait l’aimer et la pousse maintenant à entrer au couvent. Cependant ce comportement incohérent traduit aussi son désarroi devant l’existence et reflète son manque de détermination.

Pour vérifier l’accusation du spectre, Hamlet invite sa mère et Claudius à assister à une pièce interprétée par des comédiens complices. Durant la représentation de son crime, le roi, troublé, quitte la salle. Plus de doute. Pourtant l’épée d’Hamlet ne s’abattra pas sur le félon : si Claudius était tué durant sa prière, il sauverait son âme. Un raffinement de haine qui justifie la démission d’Hamlet. Conscient qu’il n’est pas un homme d’action, il espère toujours fortifier sa résolution. Itsik Elbaz insuffle à ce prince instable une énergie farouche. Il semble dominer son entourage par son insolence, sa brutalité, son humour grinçant et son goût pour la simulation, mais on le sent fragile et tourmenté.

En négligeant les menaces qui pèsent sur le royaume et en réduisant la distribution, Thierry Debroux concentre notre attention sur les rapports entre Hamlet et ses proches. Dans son élégant uniforme, Claudius (Serge Demoulin) apparaît comme un roi serein, protecteur de son épouse et de son neveu. Mais c’est un monstre de duplicité, fomentant, avec un sang-froid terrifiant, complots et empoisonnements. Une scène pourtant le montre capable de repentir. Sous la coupe de son mari, qui l’appelle "ma souris", la reine Gertrude (Jo Deseure) est une mère aux abois. Dépassée par la folie de son fils. Ophélie (Anouchka Vingtier), tiraillée entre son obéissance à son père et son amour pour Hamlet, voudrait les sauver tous les deux. Un désir balayé par le destin. Polonius (Christian Crahay) est un chambellan zélé. Sourd aux espoirs de sa fille, il est totalement dévoué au roi et meurt accidentellement. En chien fidèle.

Le dispositif scénique est sobre et efficace. Une galerie, des marches, des panneaux coulissants permettent de passer souplement d’un lieu à un autre. Le rythme soutenu n’empêche pas chaque séquence de s’épanouir. Certaines, comme "Le meurtre de Gonzague", jouée par les saltimbanques, l’enterrement d’Ophélie ou le duel final se chargent de poésie. Il fallait s’y attendre : des projections épaississent le mystère des apparitions du spectre. D’autres effets lumineux nous sortent du cadre réaliste. Invités par Polonius à se lever pour applaudir le roi Claudius, les spectateurs jouent le jeu. Cette complicité répond à l’objectif visé par le metteur en scène : aider le public à apprivoiser une tragédie réputée difficile. Il y parvient grâce à une refonte intelligente de l’oeuvre de Shakespeare, à la maîtrise de son équipe technique et au talent d’excellents comédiens.

Jean Campion