Mercredi 4 mai 2011, par Jean Campion

Un Deuil refusé

Pour Dominique Bréda, " La comédie nous permet de mieux regarder le réel en face, comme un manteau nous permet d’affronter la tempête." Dans "Purgatoire", il observe l’Homme face à son destin, avec un regard tolérant et un goût prononcé pour l’absurde et la dérision. Dans "New York", il se sert également du prisme déformant de l’humour, pour nous parler de la mort et du sentiment d’abandon qui en découle. Une pièce subtile, émouvante, qui évite tout pathos.

Une cannette de bière à la main, le visage tendu, un homme déambule lentement. Il boit une gorgée, avale une pilule, abrège un coup de fil. Tout à coup, un homme avec un attaché-case est assis près de lui. C’est son père. Max le presse de questions. Il voudrait comprendre pourquoi, à trente-cinq ans, il s’est jeté sous un train. Incapable de l’éclairer sur ce drame vieux de vingt ans, celui-ci le pousse à larguer le passé et à prendre sa vie en main. Peine perdue. Le fils bute désespérément contre l’énigme et s’incruste dans la gare, témoin du suicide.

Avec une bonne volonté désarmante, le curieux chef de cette gare désaffectée prétend l’aider à résoudre "ses problèmes". Il réchauffe des souvenirs d’enfance, mais ne l’arrache pas à son obsession. Sombrant dans l’alcool et la drogue, Max se laisse apprivoiser par ses hallucinations et s’enfonce dans un rêve éveillé, où se bousculent paradis perdu, doutes, reproches et frustrations. L’image du père se précipitant vers le train revient en boucle. Tenaillé par des questions sans réponses, Max n’arrive pas à se raccrocher à sa femme ou à sa mère.

Grâce à son humour caustique ou tendre, Dominique Bréda nous sensibilise délicatement à cette recherche douloureuse. Rien de larmoyant, mais des séquences courtes, maîtrisées, parfois surprenantes. Comme ce ballet clin d’oeil sur le "New York, New York" de Frank Sinatra ou cet aveu de Max, qui vomit l’entreprise capitaliste merdique, symbolisée par " la souris aux grandes oreilles", mais qui reste attaché à ... son Mickey.

Pour donner de la légèreté à ce spectacle et alterner rire et émotion, l’auteur, qui signe aussi la mise ne scène, a pu s’appuyer sur le talent et la complicité de comédiens qui se connaissent bien. Dans la peau du chef de gare naïf, plutôt collant, Emmanuel Dekoninck est un ange gardien attendrissant. Par ses mimiques, ses silences, ses étonnements, il souffle un vent de fraîcheur sur ce drame. Alexis Goslain fait de Max un homme seul, agressif, nostalgique, paralysé par sa lucidité et incapable d’accepter la réalité. Fantôme impuissant, le père, incarné par Alexandre Crépet, ressent la souffrance de son fils, mais ne peut que regretter : "J’aurais aimé que cela se passe autrement."

Jean Campion
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