Lundi 22 novembre 2021, par Jean Campion

Un Chaleureux dégel

Depuis sa création en 1996, "Visites à Mister Green" a été traduite dans plus de vingt langues et a triomphé un peu partout dans le monde. Comment expliquer cette adhésion internationale et permanente ? Avant tout par l’efficacité de dialogues à couteaux tirés, qui amènent deux hommes diamétralement opposés à se découvrir et à se comprendre.

Accusé de conduite dangereuse, Ross Gardiner, jeune cadre new-yorkais, a été condamné à rendre une visite hebdomadaire à sa victime, Mister Green. Depuis la mort de sa femme, cet octogénaire irascible vit reclus dans un appartement bordélique. Il a supprimé son téléphone, ne lit plus son courrier et se nourrit mal. L’intrusion de ce cadre d’"Américan Express" le hérisse. Tout en lui reprochant injustement de l’avoir renversé, il refuse toute aide et lui interdit de revenir. Soulagement de Ross. De courte durée : le juge l’oblige à exécuter sa peine. Pendant six mois, il offrira, chaque semaine, ses services à ce vieil ours mal léché.

La deuxième rencontre est plus paisible. Green évoque sa Géorgie natale, les difficultés pour les Juifs immigrés de gagner leur vie à New York, les tartes au citron meringuées, réservées au shabbat et les cinquante-neuf ans de bonheur auprès de sa chère femme. Une attention le touche : la soupe, que lui a apportée Ross, est kasher. Le jeudi suivant, celui-ci s’affole devant Green par terre, le visage tuméfié. Une chute plus grave le laisserait six jours sans soin... Plus question de laisser le frigo vide et de croupir dans la saleté. Le vieil homme accepte qu’il prenne le relais de son épouse.

La glace fond un peu plus, quand il entend fortuitement que Ross est juif. Pour mieux s’apprivoiser, les deux hommes se libèrent progressivement de leur armure, dévoilent des fêlures, des mensonges et des secrets. Tous deux vivent des conflits de génération douloureux. L’un est prisonnier de ses principes religieux. L’autre se bat courageusement contre les préjugés sociaux.

Dans la peau de Ross Gardiner, Thibault Packeu mène le jeu avec le dynamisme d’un trentenaire brillant, qui affronte crânement les difficultés. Désarçonné un moment par la misanthropie du vieux bougon, il trouve des solutions pour réchauffer son passé et réveiller son désir de vivre. Une résurrection qui aidera Ross à franchir un pas décisif dans son. existence. Voilà un cadre intuitif, efficace et tourmenté que Thibault Packeu rend très sympathique. Par son allure traînante, ses coups de gueule, sa gestuelle, sa densité, Benoït Van Dorslaer fait de Green un personnage pittoresque et attachant. Buté, il ne saisit pas le sens de la première visite et prétend laisser sa porte ouverte, par peur de perdre ses clefs. On rit de ses idées fixes, de son inaptitude au ménage et de sa mauvaise foi. La mort de sa femme l’a laissé désemparé, au bord du chemin. Petit à petit sa carapace se fissure et ses certitudes sont ébranlées. Van Dorslaer nous rend témoins de ce combat intérieur avec une remarquable sobriété.

Le décor de la première scène surprend par son côté rudimentaire. Puis il se déploie en suivant la progression dramatique. Green nous permet de découvrir le contenu de ses armoires et les recoins de son appartement, au fur et à mesure qu’il laisse parler son coeur. "Visites à Mister Green" est une comédie dramatique qui charrie beaucoup de sentiments positifs. Par la rigueur de sa mise en scène, Thibaut Nève a veillé à ce qu’elle évite toute sensiblerie. C’est bien l’interaction entre deux personnes solides et fragilisées qui justifient les applaudissements fort chaleureux.

Jean Campion