Mardi 29 mai 2018, par Jean Campion

Un Cadeau du ciel ?

"De temps en temps, me vient une idée de pièce, je m’y colle, je bosse plusieurs mois et, si tout va bien, je sors un truc plus ou moins abouti, qui me permettra de payer mon loyer, quelque temps." Sans se prendre au sérieux, Sébastien Thiéry est un auteur prolifique, qui a déjà écrit plusieurs pièces à succès. Il s’appuie régulièrement sur une situation absurde et déstabilisante. Venu retirer de l’argent, le héros de "Cochons d’Inde" (2008) voit son compte bloqué et se retrouve enfermé dans la banque. Dans "Comme s’il en pleuvait" (2012), une invasion de billets de 100 euros transforme le quotidien d’un couple en véritable cauchemar. "Momo" raconte comment la vie des Prioux, bourgeois bien installés, est bouleversée par l’intrusion d’un hurluberlu, dont ils ne comprennent pas la langue.

Pendant que sa femme Laurence arpente d’autres rayons du supermarché, André Prioux choisit nonchalamment des pâtes. Tout à coup, il se voit agressé par un étrange individu. Vociférant des mots incompréhensibles, celui-ci l’oblige à acheter du Chocapic, lui arrache le caddie des mains et disparaît. Rentrée de ses courses bredouille, Laurence ne décolère pas. Deux heures de supplice inutiles ! Différents indices troublants plongent le couple dans la perplexité, puis dans la panique. La tension est à son comble, lorsque le farfelu du supermarché sort de la chambre d’amis. Dialogue difficile. Muré dans sa méfiance, André ne cherche pas à comprendre le sabir de cet imposteur. Contrairement à Laurence, qui s’efforce de traduire les paroles de Patrick, jeune homme sourd venu annoncer son mariage à... ses parents. Sidération des Prioux, couple sans enfant. Pour André, pas de doute, c’est un manipulateur. Laurence, en revanche, est ébranlée. En se jetant dans les bras de "momo" (déformation de maman), Patrick a réveillé la frustration maternelle.

Son désir d’enfant la pousse à défier le bon sens et à croire ce fils tombé du ciel. Une photo prise à Agadir, avec au dos "papa-maman" devient une preuve attendrissante. Laurence imagine que Patrick a pu être abandonné, enquête sur les infidélités de son mari et combat sa résistance par le chantage. Les liens du coeur transforment cette femme querelleuse, cette épouse dominatrice en mère tendre et accueillante. Par son jeu maîtrisé, Aylin Yay rend touchante cette métamorphose. André Prioux présente, lui aussi, des images contrastées. Il apparaît tout d’abord comme un homme vulnérable, qui a besoin d’être rassuré. En pleurnichant, Michel Kacenelenbogen insiste lourdement sur sa fragilité, mais devient nettement plus convaincant, dans la peau d’un mari qui ose affronter sa femme. Excédé par ses plaintes et son comportement belliqueux, il l’accuse d’être une D.R.H inhumaine, puis lutte farouchement contre ses divagations. Ce pharmacien protège son confort. Pour démasquer le simulateur, il teste même sournoisement sa surdité.

Ce sont bien les déboires de ce bourgeois égoïste, lâche et intolérant qui nous font rire. Contrairement à ce que prétendent certains détracteurs de la pièce, Sébastien Thiéry, qui a un frère sourd, ne se moque pas des handicapés. Patrick, incarné à la création par l’auteur, n’est pas une cible mais une victime, qui réagit contre l’incompréhension et le rejet. En exprimant, avec une sensibilité à fleur de peau, ses difficultés d’élocution, Thierry Schotte suscite de l’empathie pour ce personnage en mal de reconnaissance. Malheureusement Thiéry s’est montré maladroit, en l’affublant d’une fiancée aveugle. Personnage secondaire, Sarah ( Kim Leleux) nous heurte par ses interventions gratuitement cassantes. Sa cécité amène André à commettre quelques gaffes classiques. On aurait dû y échapper.

Dommage aussi que ce spectacle souvent mordant survole le problème de la filiation et débouche sur un éloge de l’amour trempé dans l’eau de rose. Cependant cette comédie inégale, menée sur un rythme vif, provoque de nombreux éclats de rire. Sébastien Thiéry a l’art d’entraîner personnages et spectateurs dans un engrenage de situations cocasses et surréalistes. Il stimule notre curiosité et nous régale de répliques absurdes comme "Jean-Pierre, cette année, son anniversaire tombe un 17 juin" ou "On n’abandonne pas un enfant pour une faute d’orthographe." "Momo" confirme le talent d’un dramaturge doué, mais satisfait d’ "un truc plus ou moins abouti".

Jean Campion