The Great He-Goat

Bruxelles | Spectacle | Théâtre Les Tanneurs

Dates
Du 7 au 9 juin 2022
Horaires
Tableau des horaires
Théâtre Les Tanneurs
Rue des Tanneurs, 75 1000 Bruxelles
Contact
http://www.lestanneurs.be
info@lestanneurs.be
+32 2 512 17 84

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The Great He-Goat

Sous le regard d’une enfant, les gardien·nes entrent dans la tête de Goya, deviennent ses monstres, ses obsessions, ses intentions troubles, ses ambiguïtés. Ce sont des mutants, embarqués malgré eux dans un monde qui leur échappe. À travers la mise en présence constante des gardien·nes et des figures goyesques, passé et présent se mêlent, s’entrechoquent, préservant, dans les situations les plus cruelles ou les plus absurdes, une humanité. Élucubrations, fantasmagories, sourdes manipulations, emportements, ils et elles recrachent de l’ombre une drôlerie bâtarde, leur seule force face à la débâcle annoncée.

Les acteurs et actrices sont démultiplié·es par des figures marionnettiques qui leur ressemblent étrangement, au point qu’on ne puisse plus les distinguer les uns des autres. Par le truchement de prothèses, les corps se soulèvent, se délabrent ou se confondent, se jouent de la gravité et rejoignent ainsi ces figures assises dans le vide, ces combats perdus d’avance parce que le corps est incomplet, ces charniers où se mêlent blessés et cadavres, toutes situations qui foisonnent dans l’œuvre de Goya. Ce dernier, qui fut premier peintre à la cour d’Espagne, rompit avec ses ambitions sociales quand il produisit les Peintures Noires et commença à se pencher, avec une puissante compassion et une farouche drôlerie, sur les affres de la guerre, les abus de l’Inquisition, les superstitions aveugles, la stupidité du pouvoir. Chants et danses que le peintre a dû connaître en son temps imprègnent toute l’œuvre. The Great He-Goat donne à « entendre » le tableau, les matières vocales se rapprochant au plus près de la tonalité des peintures ou capables d’en faire émerger leurs intentions cachées.

Dans le cadre du Festival TB² Tanneurs - Brigittines.

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Mercredi 8 juin 2022, par Didier Béclard

Cauchemar magnifique

Désigné meilleur spectacle de danse par le jury des Maeterlinck en 2019, « The Great He-Goat » de la Cie Mossoux-Bonté n’a pas usurpé son titre. Au travers de tableaux sombres de Fransisco de Goya, la pièce nous plonge dans un riche imaginaire fantasmagorique aussi troublant que fascinant.

Des coups de tonnerre résonnent lorsqu’on découvre un groupe de treize personnes, plus une qui se tient à l’écart. Habillés de sombre, complet-veston-cravate ou tailleur et chemise blanche, comme des gardiens de musée. Le trouble s’installe déjà si l’on se rend compte que cette grappe humaine compte plus de têtes que de paires de jambes. Une jeune fille vêtue d’un manteau bleu apparaît à l’avant-plan et regarde le tableau qui se disloque dans le mouvement erratique des personnages qui le composent.

Comme un fil rouge, la jeune fille fera plusieurs apparitions à l’image d’une visiteuse de la Quinta del Sordo (le Domaine du Sourd ), une maison proche de Madrid où le peintre Francisco de Goya (1746-1828) a vécu ses dernières années passées en Espagne avant de s’exiler en France. Durant ces années, entre 1819 et 1823, Goya, à l’époque seul, sourd et malade, y réalise une série d’œuvres sombres et terrifiantes baptisée « Pinturas Negras » (les peintures noires). Parmi ces tableaux, figure « Le Grand Bouc », que certains nomment « Le Sabbat des sorcières », qui donne son nom à la pièce de Nicole Mossoux et Patrick Bonté.

Dans une succession de fresques mouvantes, noires et puissantes, la chorégraphe et le dramaturge donnent à l’œuvre de Goya une nouvelle dimension artistique, visuelle, sonore et gestuelle. Les gardiens et gardiennes de musée se mêlent aux personnages des peintures, les affrontent, les manipulent ou sont eux-mêmes manipulés. Interprètes et marionnettes (réalisées par Natacha Belova) se confondent de façon troublante, les membres se multiplient - quatre bras, quatre jambes – et sont parfois arrachés sans précaution ni émotion. Piété, souffrance, pauvreté, fureur et désespoir manipulent les corps comme les esprits.

Cet univers fantastique s’appuie également sur les créations vocales et sonores signées respectivement Jean Fürst et Thomas Turine. Des sons produits en direct par les interprètes eux-mêmes, souffles, onomatopées, râles, sont captés par leur micro et amplifiés, déformés et déplacés à d’autres endroits de la scène ce qui produit un effet étrange, déconcertant, irréel. S’y ajoutent des « effets spéciaux » - lévitation, apparition, illusion, dédoublement – des masques et des costumes riches pour composer un rituel, à la fois effrayant et fascinant, ponctué de charniers, de danses, légère ou macabre, de marche aux bâtons et de procession à genoux.

Cette visite guidée et agitée de la Quinta del Sordo (détruite en 1909 mais dont les œuvres ont été conservées) permet à Nicole Mossoux et Patrick Bonté d’évoquer une Espagne en guerre et sous l’emprise de l’église catholique et de l’inquisition dans laquelle baignait le peintre à l’époque. Mais la pièce qui relève essentiellement du mouvement théâtralisé explore plus avant la nature humaine et les conflits intérieurs jusque dans ce qu’ils ont de plus retors dénonçant, dans la foulée, la violence aveugle et l’aliénation des esprits « qui ont toujours été une malédiction de l’Histoire ».

Didier Béclard

« The Great He-Goat » de Nicole Mossoux et Patrick Bonté, avec Juan Benítez, Dounia Depoorter, Thomas Dupal, Yvain Juillard, Frauke Mariën, Fernando Martin, Isabelle Lamouline, Shantala Pèpe, Candy Saulnier, Fatou Traore et la jeune fille, Martha Andrioli, Eva Pontiès-Domeneghetty et Marie-Lou Adam, jusqu’au 9 juin 2022, au Théâtre Les tanneurs, dans le cadre du Tb2 Festival, 02/512.17.84, lestanneurs.be.

Théâtre Les Tanneurs