Jeudi 7 novembre 2013, par Léïla Duquaine

"That’s us here. It’s beautiful"

Des chaises. Une table. Des fils. Kate. Kate et nous. Les questions de Kate : « Parmi vous, qui sait siffler, garder un secret, mentir ? Qui est ponctuel ? Qui a déjà vu des fantômes, volé quelque chose, chanté dans une chorale ? Qui a trop chaud ou voudrait changer de place ? Qui a mangé seul dans les cinq derniers jours ? (…) Qui pense qu’il sera toujours vivant dans 1 ans, 10 ans, 100 ans (...) » Les instructions de Kate : « Souffler le nombre de personnes sur qui l’on peut compter dans un sachet placé sous le siège, regarder ou renifler les gens autour de soi, débobiner des cordes, lancer des billes, se lever, parler, se taire… »

Kate anime donc mais les spectateurs tirent les ficelles. Silencieux et alignés « comme des oiseaux sur des fils électriques », c’est eux qui déclenchent le chaos sur scène. Les chaises s’entrechoquent, la table bascule, une pelle métallique frotte contre un mur, une théière tombe du plafond et se brise. LE SILENCE. Kate réapparait avec un micro perché et quelques panneaux : Recording crowd silence, crowd stillness, crowd breathing, thinking, sweating, recording in the dark. (…) « On pourrait rester là, ensemble, toute la nuit, attendant que quelque chose arrive… On pourrait même dormir ici, vivre ensemble… » Finalement, chacun est invité à choisir un nombre entre 1 et 100, à compter dans sa tête et à conclure par un « now » à haute voix…

Real time, real space, real body, real action and real interaction : voilà comment on pourrait résumer le « performance art ». Si beaucoup de praticiens du genre s’adonnent à du conceptuel de surface s’adressant principalement à la classe des initiés, All Ears réalise l’expérience partagée à travers une mise en scène physique et métaphysique. Kate joue au sens où son spectacle est ludique et drôle mais elle n’entre pas dans un rôle : c’est elle qui parle à chacun de nous. Et ce ne sont pas tant ses paroles qui importent mais le lien vibratoire qu’elles génèrent et matérialisent entre le plateau et la salle, nous obligeant à reconsidérer notre rapport au corps et à l’espace-temps scéniques, à l’autre spectateur et à l’autre nous-même ; nous invitant à être là, tout simplement, le temps d’un « temporary agreement ». Mais le performatif n’évince ni la jouissance esthétique – quelle tableau magnifique que ce chambard d’objets ordinaires ! – ni la rêverie. Pendant quelques instants, on a regardé, écouté, senti le quotidien autrement et ensemble. On a pris conscience des présences - « Qui a déjà vu des fantômes ? » - et retrouvé les plaisirs naïfs du bac à sable parce que Kate s’adresse à notre humanité, qu’elle parle à toutes les oreilles et à toutes les âmes !

Léïla Duquaine