Mardi 22 novembre 2016, par Dominique-hélène Lemaire

Tapie dans l’ombre...

Tsunami sur les planches…et cartes sur table. Il faut que les artistes fassent bouger les lignes. La première représentation de la pièce de théâtre "Gun Factory" par la Compagnie Point Zéro / Jean-Michel d’Hoop a eu lieu au Théâtre National dans le cadre du Festival pour la Liberté. Le théâtre de la Comédie Claude Volter a accueilli ensuite ce spectacle d’une brutalité inouïe, pendant près de deux semaines, avec un extraordinaire succès.

Le commerce des armes ? C’est le mal absolu ! On le sait et que fait-on ? On ajuste les législations ? La croissance des armes est exponentielle. Il est bien loin le temps des marches pour la paix ! Ainsi, dans la ferveur du principe du colibri, l’équipe résolument engagée de la Compagnie Point Zéro expose inexorablement les faits, de manière clinique et détachée, comme si notre monde n’était qu’un grand corps malade. Des chiffres astronomiques nous font savoir que la terre se transforme inexorablement en une poudrière de plus en plus explosive et que les bénéficiaires de ce trafic immonde ne sont nullement prêts à abandonner la partie. C’est dans ce commerce que les ploutocrates invétérés trouvent les profits les plus juteux.

C’est froid, laconique, cynique. Les faits sont palpables, étourdissants, presque inconcevables, dénoncés grâce à un arsenal théâtral à couper le souffle : tant par la puissance de l’imagination collective de cette équipe que par la présence physique tranchante et le jeu ajusté des comédiens en scène. On se doit de souligner avec force le travail fulgurant du vidéaste et des lumières. On est saisi à la gorge par la multiplicité de tableaux qui se bousculent et tuent à bout portant. Une multiplicité de points de vue contribue à une construction intelligente et objective du propos.
L’analyse se concentre sur La Belgique en particulier en Wallonie, au milieu de la problématique européenne. Les armes belges se retrouvent partout dans les mains de criminels de guerre des quatre coins de la planète. Il ressort que ce sont les pays de l’hémisphère Nord plus le Brésil qui sont le creuset du trafic de la mort sous les douilles. Parmi ceux-ci, la Belgique peut s’enorgueillir d’être l’un des plus petits pays du monde mais qui possède une des plus prolifiques multinationale d’armes légères au monde, la FN d’Herstal. Les pièces à conviction sont des dossiers scrupuleusement documentés, des écrits, des ouvrages, des interviews, des images volées de reportages de guerre, des sons, des armes et des munitions. Rien que du réel. Aveuglant et totalement insoutenable. La problématique de l’emploi dans de telles fabriques de mort sont développés avec finesse, clarté et honnêteté intellectuelle. Celle du respect des lois également.

Un Adieu aux larmes… Un Adieu aux armes… utopique hélas, mais bouleversant. Car si on avait proposé aux spectateurs de signer une pétition à la sortie, pas un spectateur n’aurait refusé, tant la qualité du spectacle et l’urgence du message était percutante ! Et sachez que tout ce qui a été dit ne concernait que les armes légères… En Belgique.

Cette production théâtrale qui n’a rien du divertissement ne donne de leçons à personne. Elle possède une lourdeur de plomb qui laissera dans les esprits des traces inoubliables. Ce spectacle peut faire peur, c’est dit dans l’introduction. L’arrivée des mercenaires signe le déclin de notre société avec l’apparition de SMP (Sociétés Militaires Privées). Soit. Mais il reste la parole de résistance, le respect de la légitimé. On ne doit pas se réfugier dans le silence ou chercher des coupables ou des victimes expiatoires. Comprendre aussi que si on se laisse guider par la peur, on s’empêche de résister tandis que la ruine totalitaire, tapie dans l’ombre, veille inexorablement.
Dominique-Hélène Lemaire