Lundi 11 novembre 2013, par Léïla Duquaine

TOUCHE-TOUCHE

« Prenez des couvertures sur les côtés ». Surfaces bétonnées. Problème de chauffage ? La salle est redélimitée par des rideaux de douche géants. A l’intérieur de ce cube en transparence, il s’agit de s’asseoir sur des grosses briques, côte-à-côte, autour d’un petit espace vide. Au-dessus de nos têtes, au centre, une enseigne lumineuse : « desert ». Sur les côtés, hors de l’isoloir, d’autres néons : « window », « roses », « exit ». Au milieu de nous, sur le chemin en croix, un homme et une femme. Un regard. Des regards. Elle : « Chez ma grand-mère, y avait l’même genre de papier peint… »

Dans ce no man’s land (« Nul besoin de savoir votre situation, votre âge,… ») – sans papier peint –, Jacques et Edith. Et nous. L’histoire d’une rencontre. De mains qui se frôlent et de corps qui se perdent, maladroits. De la poste à la chambre d’hôtel, il devrait être question de sexe mais le sol est froid, et la solitude… Et la vérité de ceux qui n’ont rien à perdre, sinon leur Foi : « Je suis un somnambule », « Vous êtes un rêveur ». Qui parlent du soi comme d’un personnage et de l’existence comme d’une fiction ou d’un grand soir : « Pensez-vous que nous jouons une comédie ? ». On s’assoit, on se relève, on part et on revient, on parle et on se tait. On communique, on communie : « Nous faisons partie de la famille, pas besoin de parler… Nous ferons… ». On se perd souvent, on désespère parfois (« Les mots nous ont trahi ! »). Mais on se raconte encore. Aphone, on se fantasme, on s’imagine à l’Iphone. On danse maladroitement sur un piano solo. On rêve malgré tout : « Laissez-moi tirer des coups de poing dans l’ciel ! ». On pleure malgré tout. Malgré une langue poussiéreuse et un décor vocal déserté par les corps. Une diction de conservatoire. Sauf que les larmes, ça n’se déclame pas, ça se crache ! « Je pense à moi comme quelqu’un en congé de maladie » dit Fabrice Rodriguez… Mais Véronique Dumont, sa Dame en rose, sa voix rauque et son infinie tristesse.

Frédéric Dussenne met en scène Jean Louvet, auteur noir-jaune-rouge, auteur enragé, auteur d’engagement. C’est l’histoire d’une rencontre et d’un acte manqué, peut-être. Les phrases sont des banderoles de lumière froide. C’est dur d’habiter le désert. Pour l’homme et pour l’acteur. Les mots figurent mais n’ont pas de visage : on écrit « fenêtre » mais il n’y a pas de fenêtre, on écrit « sortie » mais elle est de l’autre côté… « Peut-être que la vie est ailleurs », dit-elle. Sous l’épiderme, dans les tripes, dans un langage moins « théâtral », dans des passages secrets, inavoués. Et pourtant, il s’est passé quelque chose, hors-jeu. Certains fragments ont résonné. La place était inconfortable. On pouvait entendre le souffle du spectateur voisin. De la distance et quelques (h)auteurs. Le besoin d’être touché de plus près. « Je préfère la lumière éteinte… » ?

Léïla Duquaine