Jeudi 7 novembre 2013, par Palmina Di Meo

THE ARTIST IS PRESENT : L’art de la performance selon Marina Abramović

Une « Amoureuse du monde »

Portrait d’une artiste radicale et fragile, étonnant mélange d’endurance et d’émotions.

Salle comble mercredi dernier au Palais des Beaux Arts pour assister à la présentation et à la projection du film The Artist Is Present consacré au personnage de Marina Abramović.

Matthew Akers, le réalisateur venu présenter le documentaire, l’a suivie pendant plus d’un an alors qu’elle préparait la rétrospective de son oeuvre au Musée d’Art Moderne de New York, le prestigieux MoMA, où son travail a attiré plus de 750000 visiteurs en trois mois.

Le pari était de tenir 7h30 par jour et 6 jours par semaine sur une chaise sans bouger.
Le concept central de l’exposition est simple en apparence : offrir au visiteur l’énergie d’une présence physique à partager. Chaque visiteur est individuellement invité à s’asseoir en face de Marina. Totalement disponible, elle lève les yeux vers lui et le regarde aussi longtemps qu’il soutient son regard. Les réactions sont imprévisibles.

Le film permet de découvrir la préparation par Marina des jeunes artistes venus pour reconstituer, en parallèle à sa propre performance, 5 oeuvres historiques parmi les plus marquantes de sa carrière.
Préparation nécessaire car une performance repose sur la mise en danger de l’artiste qui engage son corps : Marina Abramović a joué avec la pointe d’un couteau, a absorbé des médicaments psychoactifs pour sensibiliser les gens à la condition des malades mentaux, s’est lacérée, exposée au feu jusqu’à l’évanouissement...

C’est dans les années ’60 que l’art de la performance commence à se répandre, d’abord en réaction contre le caractère figé de la peinture.
Le support de la performance n’est autre que le corps, la rencontre en est la forme artistique. Art de l’éphémère, elle repose sur le partage et incite à réagir.
Les performeurs ont suscité l’intérêt des sociologues, des psychologues et autres chercheurs car les réactions du public, spontanées, révèlent des tendances de comportement.

Marina Abramović, "la grand-mère de la performance ", est une pionnière du genre. A 60 ans passés, le corps toujours beau et ferme, elle crée des oeuvres vivantes qui interpellent, que l’on soit profondément touché ou simplement curieux.

Pour Marina, l’artiste est un guerrier qui conquiert un territoire tout en se conquérant lui-même.
« La performance est un état d’esprit et si on se produit pendant 3 mois, la performance devient la vie elle-même  ».

The Artist Is Present repose sur la tension et la perception de la durée. Aujourd’hui, tout va trop vite, la vitesse est un processus de transformation. Quelles émotions peuvent naître de l’arrêt du temps ? Comment visualiser le temps dans une performance qui exige un investissement émotionnel, celui d’être là à 100% ?

En 1975, au cours d’une performance d’auto-flagellation, elle rencontre Ulay. L’attraction entre ces deux êtres, nés tous deux un 30 novembre, est immédiate. Ulay désinfecte ses blessures et c’est le début d’une collaboration qui durera 12 ans. Marina revient avec tendresse sur ces années de vie commune où ils vivaient dans une vieille camionnette, pauvres, follement amoureux, nomades. Ils passaient alors pour des fous.

Dans Relation Works , ils explorent la dynamique homme/femme dans des situations de dépendance et d’écrasement, jusqu’à l’épuisement physique."Nous voulions trouver un troisième "Moi", indépendant de nos deux "Moi" : un "moi" que nous appelions ’Dasselbst’ (le même). C’était pour nous une situation presque hermaphrodite" (interview avec Doris von Drathen).
Avec Nightsea Croissing , ils investissent les musées comme des tableaux vivants. Pour symboliser les retrouvailles d’un couple, ils parcourent 2 000 kilomètres le long de la Grande Muraille, l’un partant de l’est, l’autre de l’ouest pour se réunir au milieu. Mais le gouvernement chinois ne délivre les autorisations qu’après 8 ans d’attente : leur relation est mourante et ils se rencontrent au milieu du mur pour se séparer définitivement.
Lors de sa performance au MoMA, Ulay vient lui rendre visite. C’est un moment magique :
http://www.youtube.com/watch?v=R4lp4w8lNYs

Née à Belgrade, de parents-héros de la résistance sous le régime de Tito, Marina a toujours été très surveillée. Elle attribue son besoin d’amour, de dépassement de soi et son endurance à une éducation austère dépourvue de tendresse.
Quelques principes repris dans son Manifeste : ne jamais mentir ni à soi-même, ni aux autres, ne jamais faire de compromis, ne pas tuer un autre artiste, ne pas avoir de relations amoureuses avec un autre artiste...

Artiste intègre et engagée, Marina Abramović n’a découvert le pouvoir de l’argent et de l’image qu’après sa séparation d’avec Ulay. Pour canaliser son chagrin, elle a créé des spectacles théâtraux où elle mettait sa vie en scène et a appris à gérer un compte en banque. Aujourd’hui riche et adulée, elle reste fidèle à ses idéaux. Attachante, séductrice, on la découvre pleine d’humour et d’autodérision.

Palmina Di Meo

Lire aussi une interview de Télérama