Reclus dans son appartement du 221B Baker Street, Sherlock Holmes est en pleine déprime. Comme il cherche refuge dans la drogue, le docteur Watson se bat en duel avec son "meilleur ami", pour l’empêcher de se piquer. En vain. Malgré son sex-appeal, la pulpeuse Irène Adler n’arrive pas davantage à lui remonter le moral. C’est Lestrade, inspecteur de Scotland Yard, qui sera la bouée de sauvetage. A la recherche d’une belle énigme, susceptible de le requinquer, Holmes la réclame à ce policier obtus. Jaloux de ce rival, qui l’écrase de sa science, celui-ci refuse. Puis, sous la menace d’un revolver, il évoque la mort du comte Arthur Blackmore, tombé d’une falaise. Affaire classée : chute accidentelle, conclut-il. Pour Holmes, c’est un assassinat. Il le prouvera, aux yeux de tous, en retournant sur les lieux de son enfance. Une île maudite située sur la Bouche des Enfers.
Le manoir des Blackmore nous fait basculer dans le monde de Tim Burton. Tout droit sorti d’"Alice au pays des merveilles", le Chapelier fou sert le thé. A 40 ans, Richard, le fils du comte, est resté un gamin qui aime les déguisements et qui se souvient des comptines, qu’il chantait avec le jeune Holmes. Sa passion pour la chimèrologie est plus inquiétante. Taxidermiste farfelu, il déchiquette des animaux, pour créer des êtres imaginaires, comme une "pendulapin". Coups de tonnerre, crypte ténébreuse, apparition de fantôme, reconstitution de squelette, corps décapité baignent l’enquête dans une atmosphère angoissante. "Les démons sont là, tapis dans l’ombre." s’exclame Holmes. En traquant le meurtrier de sa mère, il découvre le secret de ses origines et dévoile ses fêlures. Même s’il est toujours le détective extravagant, sûr de lui, qui brille par son intelligence supérieure, il s’humanise.
Grâce au décor modulable de Ronald Beurms et à la mise en scène rigoureuse de Jasmina Douieb, la première partie est très enlevée, mais certaines scènes de la seconde s’essoufflent. En cause : une recherche insistante d’effets grand-guignolesques et surtout une inflation d’explications, entraînées par une intrigue tortueuse. Cependant l’équipe qui nous a enthousiasmés, la saison dernière, par son "Tour du monde en 80 jours", confirme son inventivité, son souci du détail et son humour malicieux. L’auteur excite notre curiosité en mêlant habilement suspense et deuxième degré. Témoins, le clin d’oeil annonçant l’entracte ou ce sinistre réveillon de Noël, qui nous fait rire aux éclats.
La réussite du spectacle s’appuie aussi sur les prestations remarquables des sept comédiens. La voix caverneuse d’Oswald, le majordome (Gérald Wauthia), la raideur de la comtesse (Jo Deseure) et la folie suspecte de Richard, son fils (Thierry Janssen), inspirent de sourdes menaces. Prétentieux et dépassé, Lestrade apparaît comme le cousin des deux Dupondt. Ses interventions sont émaillées de lapsus du genre " l’avoir sur le bout de la mangue", qui le rendent ridicule. Didier Colfs met bien en valeur son incompétence. Brune ou blonde, actrice ou médium, Irène est une femme enjôleuse et intéressée. Ana Rodriguez l’incarne avec beaucoup de charme et de conviction. Le flegme de Nicolas Ossowski opposé au dynamisme d’Othmane Moumen donne du punch au duo Holmes - Watson. Conan Doyle a consacré 4 romans et 56 nouvelles aux aventures de Sherlock Holmes. De multiples possibilités d’adaptations scéniques... On se réjouit que Thierry Janssen ait préféré miser sur son talent et sur celui de ses partenaires, pour créer une pièce originale, captivante et drôle.