Lundi 17 février 2014, par Laura Bejarano Medina

Sur les ailes du passé

Niché sous les voûtes du Théâtre Le Public, Le Jeu des Cigognes révèle avec une délicate intensité les liens intimes qui unissent ou désunissent des amis d’enfance meurtris par le passé. Accompagné de comédiens profondément touchants, Jos Verbist et Didier de Neck subliment le texte de Philippe Blasband à travers un recueil de sensations, de souvenirs et d’images singulièrement troublant.

Sur un banc au cœur des polders, entre le vent et les marées, quatre octogénaires nous racontent leur enfance bercée par les vagues et la solitude. En arrière scène, un écran semble rappeler en noir et blanc des brides de souvenirs en bord de mer. C’est dans ce décor simple et poétique que Magali Pinglaut, Didier de Neck, Benoît Verhaert et Laurence Vielle nous livrent le récit émouvant de quatre vies entrelacées. Par un subtil voyage entre passé et présent, Philippe Blasband rythme l’intrigue et trace les portraits croisés de quatre enfants qui, au-delà de leurs différences, scellent une amitié inattendue autour d’un jeu étrange.

Ayant perdu de vue ses camarades de jeu depuis de longues années, Jeanne tente de retrouver Béatrice, Charles et Antoine afin de les réunir lors d’un pique-nique sur la plage. Sans cesse ponctué par ce "Jeu des Cigognes" dont eux seuls connaissent la logique, ce spectacle intriguant traverse le temps et suit les personnages à différentes périodes de leur existence. Tirant sa richesse de l’interprétation de quatre comédiens d’exception, Le Jeu des Cigognes dévoile les blessures et les failles cachées derrière des personnalités complexes et attachantes.

Reflet saisissant de la vie, Le Jeu des Cigognes bouleverse le spectateur par des émotions poignantes qui, camouflées derrière la beauté des mots, nous surprennent sans crier gare. Alors que la parole intime imprègne l’atmosphère, les difficultés mentales de Jeanne, l’humour grinçant de Béatrice, la solitude d’Antoine ou encore la violence de Charles apparaissent sous un autre jour et s’enrichissent d’une sensibilité nouvelle. Amplifiés par un micro ou simplement délivrés sur le ton de la confidence, les états d’âme des quatre personnages s’alignent aux répliques cinglantes ou émouvantes, sans cesse alimentées par ce besoin impérieux de raconter leur histoire.

Embelli de moments de grâce et de poésie, ce spectacle déroutant laisse transparaître la nostalgie et les regrets au fur et à mesure que le temps s’écoule et que la frontière entre sentiments d’amour et d’amitié s’estompe. En apprivoisant avec simplicité les sujets sensibles du vieillissement, de la maladie ou de la différence, Le Jeu des Cigognes offre un témoignage affiné de nuances qui explore, avec justesse et grandeur, la profondeur du pardon et du cœur.

Laura Bejarano Medina