Mardi 20 février 2007, par Xavier Campion

Stéphanie van Vyve ET Dominique Rongvaux

Après des parcours parallèles, Stéphanie et Dominique ont eu envie de concevoir un spectacle déridé et convivial autour de Courteline : Faire le malin est le propre de tout imbécile

C’est vrai - et ce n’est pas tellement courant - chacun de vous a entamé une carrière étrangère au théâtre. Petit retour en arrière ?

Dominique : La première fois que j’ai fait du théâtre, c’était pour jouer Cécile ou l’École des Pères de Jean Anouilh, avec le groupe-théâtre de l’Athénée d’Arlon. Cela s’était bien passé, et on m’avait dit : “ tu pourrais faire ce métier si tu en as envie ”. Mais quand on est à Arlon, le théâtre professionnel de Bruxelles, cela semble très loin. Alors je n’ai passé aucun examen d’entrée de conservatoire et j’ai fait HEC Liège. Dans ces études, il y a un peu de tout : des matières littéraires, trois langues étrangères, du droit, des matières scientifiques. Après les 5 années d’études, j’ai travaillé pendant 3 ans comme cadre dans un ministère à Bruxelles. Je faisais de l’audit, puis du conseil en gestion et tout en faisant cela, j’ai commencé à prendre des cours du soir de théâtre. C’était un cours privé, et comme professeurs on avait Nicole Valberg, Frédéric Latin… Par chance, il y avait dans ma classe des élèves - dont Valéry Massion [1] - qui voulaient présenter l’examen d’entrée d’une école supérieure : (IAD ou Conservatoire), alors je me suis dit “ Pourquoi pas moi ?” J’ai passé l’examen, j’ai été reçu et j’ai quitté mon métier. Pour payer mes études je travaillais les mois de juillet, août et septembre…3 ans de suite : 9 mois de Conservatoire et 3 mois de travail. Dominique Rongvaux


Stéphanie
 : Pour ma part, je n’avais pas du tout pensé à faire du théâtre, bien que j’étais un peu spirou et que beaucoup de gens me disaient “ tu devrais faire du théâtre ” et j’ai fait les romanes parce que je voulais devenir prof de français et j’ai adoré ces études-là… En entrant à Saint-Louis, il y a une troupe de théâtre qui s’est formée et au lieu de faire mon baptême, j’ai rejoint cette troupe. On a joué La Dame de chez Maxim’s de Feydeau et ça a marché du tonnerre. Dans le théâtre amateur, on a cette liberté que je retrouve un peu dans Faire le malin est le propre de tout imbécile . J’ai joué plusieurs pièces en amateur pendant mes études universitaires, puis j’ai fait mon agrégation, j’ai enseigné et tout en enseignant j’ai joué Les Caprices de Marianne à Namur avec Freddy Bada qui a été mon 1er vrai metteur en scène pro. Dans le public, un soir, il y avait Benoît Poelvoorde qui m’a dit “ toi, tu devrais être comédienne, mais ne fais pas d’école, tente directement des castings .” Évidemment cela chatouille un peu l’orgueil. “ Pourquoi n’essayerais-je pas, même si j’ai un métier qui me plaît. C’est maintenant ou jamais !” J’ai présenté l’examen d’entrée au Conservatoire et – surprise ! - j’ai été reçue directement en Licence. Moi qui m’attendais à devoir faire 4 années d’études et terminer à 28 ans, je me suis dit que j’avais gagné 2 ans de ma vie et l’on a fêté ça. Et au cours de ces deux années, fort condensées il est vrai, j’ai rencontré des gens qui - par la suite - m’ont engagée, à savoir Christine Delmotte (lien 2) et Patricia Houyoux. Avant ces propositions de contrats, je me disais – pour me rassurer – que je retournerais à l’enseignement avec cette valeur ajoutée pour pouvoir donner des cours de théâtre. Et puis, l’été où je suis sortie, j’ai eu le casting pour 7ème Ciel-Belgique avec à la clé un contrat d’un an. Du coup, j’en vis et j’ai renoncé à l’enseignement même si quelques fois, cela me manque un peu. (mettre ici 1 des 3 photos 7e ciel à ton choix) Stéphanie van Vyve

C’est la 1ère fois que vous allez jouer à 2 ?

Dominique : Non, parce qu’on s’est rencontré sur Cyrano de Bergerac aux Galeries.


Je voulais dire, la première fois que vous allez faire les malins rien qu’à vous deux ? Comment est né ce spectacle ?

Dominique : On voulait faire quelque chose ensemble. Il y a dans Courteline des trucs qui sont à mourir de rire que j’avais envie de faire depuis longtemps. On a pris ses œuvres complètes et on n’a gardé que les pièces avec deux personnages, et il n’y en a pas tant que ça : seulement trois pour une femme et un homme et, en fait la quatrième que nous utilisons a été écrite pour deux hommes. Ainsi son M. Badin devient chez nous Mlle Badin… Nous jouons une scène de ménage entre nous, tout en sachant que Courteline a joué cela avec sa femme qui était actrice (lui-même n’était pas acteur, mais il lui arrivait de jouer la comédie).

Stéphanie : C’est savoureux. On sent que c’est du vécu et c’est ça qui est drôle.

Est-ce qu’il y a aussi de votre vécu ?

Dominique : Probablement…

Stéphanie : Le fait de travailler ensemble nous fait progresser

Dominique : C’est très agréable parce qu’on joue des personnages qui se disputent mais s’aiment quand même. Nous on ne se dispute jamais… mais on fait semblant !

Stéphanie : Quand on joue ce spectacle, on sent que dans le public ça se pousse du coude… on sent les réactions des gens qui font “Ah oui !” alors que c’est un texte qui date de 1900 on joue avec ce qu’on est nous, avec des références qui sont contemporaines.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui hésite à embrasser la carrière d’acteur ?


Dominique
 : Il faut savoir ce que cela implique d’être acteur professionnel en Belgique, ce n’est ni Hollywood ni la StarAc. Pour la majorité des acteurs, c’est vivre de son art, faire le métier qu’on a envie de faire, mais en étant pauvre.

Stéphanie : Je ne sais pas si je peux donner des conseils. Je pense pour ma part qu’il existe plein de professions passionnantes… En tant que comédien, passer du théâtre amateur au professionnel est très différent : en amateur, le moteur c’est l’amusement, le plaisir d’être ensemble, c’est très récré en fait. Lorsque l’on fait du théâtre une profession, c’est du vrai travail, la récré est finie, même s’il faut continuer à s’amuser parce que si on ne s’amuse pas c’est que ce n’est pas bon. On est davantage responsable (on est payé…) et on doit faire face à des contraintes indépendantes de notre volonté.

Dominique : C’est du sérieux et c’est un métier


Lors de son interview, Marion soulignait aussi cet aspect de métier à prendre au sérieux et de ses contraintes… ne serait-ce que la comptabilité par exemple.

Stéphanie van Vyve ET Dominique Rongvaux

Dominique : Oui et ça prend un temps fou ! Nous, on fait tout nous-mêmes on s’est occupé des costumes, des décors, on a dû trouver la salle des répets, Moi qui suis ingénieur commercial, je peux faire la comptabilité, l’administration, les dossiers, mais je ne peux pas dire que j’adore ça !


Stéphanie
 : Et ce n’est pas toujours évident… Pour en revenir à Courteline, c’est un projet qu’on a monté ensemble. On en a fait la promo : ce n’est pas facile d’aller trouver des gens, de se vendre soi-même… on n’apprend pas cela au Conservatoire. Par rapport au Parc par exemple où l’on est soigné aux petits oignons, faire un projet nous-mêmes c’est rock ‘n roll. Il y a des moments où l’on a envie de baisser les bras : on frappe à des portes avec un projet en béton et on n’a pas toujours de réponses.

Dominique : En fin de compte on est quand même très heureux quand le projet passe


Justement comment y êtes-vous arrivés avec Courteline ?

Dominique : La première occasion nous a été donnée par Marion, qui nous a fait confiance. J’avais déjà joué 3 – 4 fois chez elle.


Stéphanie
 : Tu as gagné un Prix du Pied à l’Étrier … moi aussi, mais un troisième prix !

Dominique : Elle nous a dit : “ Voilà, vous pouvez venir. Qu’est-ce que vous pensez pouvoir jouer ?” On pensait déjà à Courteline, mais on n’était pas prêts… et il a fallu qu’on se bouge pour respecter le délai. Quelques mois plus tard, Huguette nous accueillait pour deux semaines à la Samaritaine. Et après, on est allé aux Riches Claires pour voir s’ils ne voulaient pas nous prendre l’année suivante et ils ont accepté.

Stéphanie : En fait c’est un spectacle qui peut vivre encore longtemps. Maintenant on a fait appel à quelqu’un pour s’occuper de la diffusion auprès des Centres culturels. On a une scénographie assez légère mais percutante. On peut aller le jouer dans pas mal d’endroits : on l’a déjà joué dans une salle de 400 places aussi bien que dans de petits lieux comme les cafés-théâtres. De plus, le spectacle de l’année dernière s’est enrichi de nouvelles inventions qui lui confèrent plus de relief. On gagne chaque fois en qualité et en précision. Le texte en lui-même est un bijou. On peut encore y puiser des subtilités. Amateurs de littérature, nous sommes tous les deux assez proches du texte. C’est à notre metteur en scène Valéry Massion(1), que l’on doit ce petit côté Monty Python décrit par la presse. Il nous fait travailler sur la recherche des personnages, il nous fait aller dans une liberté qu’on ne soupçonne pas. C’est un travail très enrichissant. Et puis, avec ce spectacle, ce qui est chouette c’est notre rapport avec le public : entre les saynètes, nous avons imaginé des intermèdes (musicaux, dansé entre autres) que l’on construit avec les réactions du public avec la volonté de briser le 4e mur. À la base, il s’agissait plus d’une réponse à un souci technique : éviter les coupures, les noirs, pour les changements. C’est devenu une valeur ajoutée qui rend le spectacle très vivant. Le public en est ravi et c’est généralement ça qui marque.

Voilà pour le Malin.... Un petit mot peut-être d’une autre collaboration : le s Récits d’un Jeune Médecin , puisque Stéphanie assiste Alexandre von Sivers pour la Mise en scène de ce one-man-show.

Dominique : On a fait l’adaptation ensemble : Alexandre pouvait lire le texte en russe et moi je travaillais sur 2 traductions. Il y a 7 récits, de quoi faire 4 heures de spectacle. Alors, pour ramener cela à 60 minutes on a dû faire des choix. Alexandre von Sivers est un acteur que j’admire. Et j’étais heureux qu’il accepte de me prêter son concours parce qu’il ne fait presque jamais de mise en scène. Je voulais un spectacle dépouillé, avec RIEN, pas de décor, pas de costume, juste raconter l’histoire. Et Alexandre était la meilleure personne capable de m’aider à faire cela.


Stéphanie
 : C’est un vrai directeur d’acteurs. Il a accumulé tant d’expériences en tant qu’acteur qu’en un mot, il te donne l’indication juste.

Dominique : Tout ce qu’il donne est tellement positif. C’est toujours dans le plaisir, jamais dans la douleur. Tout en étant capable de dire certains jours que cela n’allait pas du tout, mais avec le sourire


Stéphanie
 : Ça rend humble de travailler avec Alexandre von Sivers. Comme la mise en scène est dépouillée, il ne dit rien de trop, il fait quelques remarques positives qui changent tout. Il suffit de 2 petites remarques hyper précises. Cela te met en confiance et te fait avancer. En fait, Valéry Massion a aussi ce côté positif et encourageant.

Dominique Rongvaux

Est-ce que tu te sens en empathie avec ce médecin ?

Dominique : Oui, j’ai pu ressentir quelque chose d’analogue en sortant de l’Université avec un diplôme en poche et me retrouvant dans la vie professionnelle sans aucune expérience pratique. J’ai été engagé comme expert en gestion, mais en fait je n’avais que des connaissances livresques. Cette position de jeune diplômé qui doit assumer, je l’ai vécue et cela m’a touché : les débuts dans la vie professionnelle, c’est universel. Là c’est dramatisé parce que, pour le médecin, il s’agit de vie et de mort !

Stéphanie
 : Pour les acteurs, c’est pareil : on pense tout savoir à la sortie du Conservatoire parce qu’on a été formé pendant 6 mois sur un seul texte qu’on a l’impression de bien connaître et parce que nos profs nous ont mis en confiance… mais dès qu’on a la chance de bosser vraiment, on se trouve face à un public, démuni, désemparé… chaque fois on se dit, qu’en fait on n’est nulle part, et puis à la fin d’un spectacle, on a quand même l’impression d’avoir avancé un petit peu. Pas à pas, on apprend à faire son métier

Dominique : Plus on avance, plus on se rend compte qu’il y a encore plus à apprendre. Dans le récit, Boulgakov dit qu’après un an il a réussi plein de choses et il se dit “je sais tout” jusqu’à ce qu’arrive un nouveau cas difficile et qu’il se rende compte que cela va être un nouvel apprentissage pour lui. Je me dis ça tous les ans… !

Tu as quand même été nominé comme meilleur espoir aux prix du théâtre ?

Dominique : N’empêche, quand on voit la distance qui nous sépare de gens qui ont 40 ans de carrière comme Alexandre von Sivers ou Pierre Laroche… Cette maîtrise qu’ils ont dans notre artisanat ne s’acquiert qu’au bout de longues années et au prix de beaucoup de travail.


Stéphanie
 : Ce qui me plaît dans ce métier, c’est que ça bouge tout le temps. Il n’y a rien de sûr, mais il y a des rencontres et des moments très riches. Parfois on se sent nul un soir et le lendemain, on a quelque chose de magique qui se produit. C’est ce mélange des 2 qui nous fait avancer.


Dominique
 : Et puis ce doute omniprésent est salutaire. On dit qu’il y a des artistes qui, malgré 40 ans de carrière, ont toujours un trac énorme, alors que sur scène ils sont extraordinaires…


Il me reste à vous remercier et à vous espérer extraordinaires sur scène, avec ou sans trac dans les coulisses.

Interview 11/2/2007 : Nadine Pochez
Crédits photos 7e ciel M. Leroy

• 20 février au 10 mars Stéphanie & Dominique aux Riches Claires : Faire le malin est le propre de tout imbécile de Courteline
• 14 au 24 mars Dominique au Théâtre-Poème : Erasme et les abeilles de Jacques Cels
• du 19 avril au 2 juin Stéphanie aux Martyrs : Les Fourberies de Scapin de Molière, m.e.s. Christine Delmotte : .
• Du 8 au 19 mai Dominique à la Samaritaine : Récits d’un jeune médecin de Mikhaïl Boulgakov, m.e.s. Alexandre von Sivers
• Dominique jouera encore Alarmes de Michael Frayn avec la Cie Lazzi 90 (en tournée)

Notes

[1Valéry Massion fait partie du Panach’Club évoqué dans l’interview accordée à Aïssatou Diop et Mano Hébrant.