Jeudi 11 décembre 2014, par Dominique-hélène Lemaire

Soutitré « Devine où je te dévore » ...avec ou sans accent ?

La Samaritaine, « La » pépinière bruxelloise d’artistes de haut vol vient d’accueillir « The King , Devine où je te dévore », un spectacle créé en sa fertile marmite souterraine du 18 au 29 novembre derniers. Jean-Michel Distexhe est hannutois, héronnais, bruxellois et a 30 ans. Il est auteur, compositeur, interprète, comédien et marionnettiste. Il est bourré de charme et a des dons de ventriloque prêt à incarner les plus terribles monstres de l’imaginaire. Et cette fois, ce n’est pas un monstre imaginaire qu’il décrit. Son texte est régicide ! Et la cible, c’est Léopold II.

En voici le début : Il était une fois un roi, un grand roi, un grand roi d’un petit, d’un tout petit pays. Un jour, ce grand roi d’un tout petit pays reçut un gâteau, un immense gâteau que lui donnèrent d’autres rois en l’honneur de la fête des rois.
Le roi prit ce gâteau et rentra chez lui. Chez lui, le roi voulut manger le gâteau.
Le roi croqua dans le gâteau. Le roi se fendit une dent.
La fève.
Le roi avait trouvé le Petit Jésus au premier coup de dents. Le roi était maintenant très content. Le Petit Jésus. Le roi prit la couronne en carton et la coiffa. Le roi était roi.

Le roi était The King. Soutitré, on se demande pourquoi « Devine où je te dévore ? » Titre choisi par dérision par Jean-Michel Distexhe qui raconte les derniers instants du roi qu’il décrit comme solitaire et fou. Les marionnettes de son PANOPTIKUM vous invitent dans les méandres de l’histoire belge et de celle du Congo. Les corbeaux volent bas et croassent haut, vous en avez la chair de poule ! Du splendide Hitchcock vocal ! « Léopold II, Roi des Belges de 1865 à 1909, cherche à asseoir son pouvoir dans le monde. En 1885, il se proclame Roi de l’Etat Indépendant du Congo dont il décime la population et pille les ressources naturelles. Il meurt sans jamais avoir foulé la terre congolaise, mais riche de biens mal-acquis. » C’est en tout cas sa version des faits !

Avec The King, Jean-Michel Distexhe essaie « de cerner le personnage et sa tendance à la conquête. Il le met face à ses choix et le pousse dans les cordes. Face à ses anges et à ses démons, Léopold va riposter, feindre, banaliser, blaguer. Il voudra s’en sortir, par n’importe quelle porte, n’importe quel moyen dérobé. C’est ainsi qu’était Léopold II. Un homme rempli de mots de passe, de cachette, d’objectifs dissimulés ». Compliment que l’on voudrait retourner en partie à Jean-Michel Distexhe, lui-même. Nous avons vraiment regretté de ne pas avoir eu le temps de digérer le contenu du feuillet explicatif reçu au début du spectacle. De nombreuses clés nous ont échappé. Toute lumière maléfique ne se faisant qu’ après coup, à la relecture du vade-mecum ! Dommage ! Qui donc connait encore des personnages tels que Henri Bataille, Carlotta, Babochon, Caroline alias Blanche sa jeune maitresse, Les jumeaux Goffinet, conseillers financiers du roi…et bien d’autres tout aussi illustres ?

"Devine, ou je te dévore !" Avec virgule, point d’exclamation et sans accent grave sur le "u" : est-ce au public pris en otage que l’auteur s’adresse ? Il y a décidément trop d’ellipses et de sous-entendus, malgré la prouesse théâtrale totalement avérée du spectacle. La galerie de marionnettes fascinantes de laideur que le comédien fait vivre est réellement impressionnante ! Le talent vocal de l’artiste est extrême. Texte tendancieux, très tendance probablement ! Pas étonnant dès lors, que la Samaritaine affichât archi complet !

La conclusion au vitriol de Jean-Michel Distexhe qui fait penser à des règlements de comptes est virulente : « Léopold II a tracé la voie de l’histoire du Congo, il a transporté l’acide qu’ont utilisé les belges pour faire disparaître Lumumba, il a fait le lit de Mobutu, il a distribué les cartes d’identités ethniques au Rwanda, il pille encore les ressources naturelles du Kivu et il s’est, un jour, immiscé dans ma vie. Par le biais de mes grands-parents partis au Congo pour enseigner et cultiver. »
Dominique-Hélène Lemaire