Mardi 27 mars 2012, par Charles-Henry Boland

Shakespeare sur le fil

Marier le tragique de Titus Andronicus avec les frasques comiques de Comme il vous Plaira : le pari ne semble pas gagné d’avance. Aussi bien pictural que littéraire, Cet audacieux Banquet ne laissera pas indifférents celles et ceux qui s’abandonneront à cet objet artistique des plus atypiques. Amateurs de l’esthétique contemplative, cette création devrait vous convenir. Pour les autres, le spectacle s’appréciera sans doute moins facilement.

Les premiers instants de la pièce sont comme des traits de couleur, dont la toile n’apparait pas clairement. Des mouvements et paroles forment parfois des personnages, mais à peine sont-ils installés que leurs formes se dissout immédiatement à l’aune d’une nouvelle configuration. Plutôt qu’une narration linéaire, la dramaturgie se déploie en une succession de symboles qui se fondent les uns dans les autres. D’abord indiscernable, cette structure en correspondances finit par se révéler fort ingénieuse. Les éléments disparates commencent à entrer en résonance, les gestes des comédiens se répondent de scène en scène par similitude. L’ensemble est habillé de larges lumières découpant l’espace, lui-même structuré par des décors simples et massifs. Cette orientation minimaliste est également exprimée par la délicieuse "Heure Exquise" composée par Reynaldo Hahn, une chanson dont la mélodie et les paroles (Paul Verlaine) installent, dès le début de la pièce, la fragilité qui en tissera le fil.

Venons-en à ce qui constitue la singularité de ce Banquet. Le coeur de la proposition, élaborée par la metteur en scène Sabine Durand, repose sur une forme de lenteur expressionniste, qui permet à chaque scène de devenir un événement visuel et sonore. Cet épaississement de la temporalité a pour effet immédiat que le comédien, par la simple réplique, le moindre déplacement, frappe le spectateur d’une présence particulière. Il est certain que le processus se révèle excellent à produire de puissantes apparitions. Cependant, le rythme, quelquefois démesurément lent, pourra sembler excessif par rapport à l’effet recherché. C’est souvent la même histoire : est-on prêt à sacrifier un plaisir immédiat pour quelques perles émaillées sur la succession des scènes ?

Disons-le tout de suite : la pièce est difficile. Non parce qu’elle serait laborieuse, mais elle requiert du spectateur un réel investissement. Cependant, c’est dans l’expérience d’un temps qui s’étire à ses limites que peuvent jaillir des entités curieuses, amenées avec d’autant plus de force que la concentration doit être à son comble. Naturellement, ce genre de mise en scène porte le danger de perdre radicalement l’attention du public. Le pointillisme, qui constitue à la fois le nerf vivant de ce Banquet, pourra apparaitre comme son principal défaut. Gageons cependant que le spectateur sera sensible au langage résolument symboliste de cette surprenante réalisation.

Charles-Henry Boland