Jeudi 3 octobre 2013, par Karolina Svobodova

Shakespeare pour rire

Au théâtre des Tanneurs, Selma Alaoui se lance dans l’exploration des sujets les plus universels qui soient. L’amour, la guerre, les deux extrémités des relations humaines. Y a-t-il encore quelque chose à en dire ? Face à la surabondance des œuvres qui leur sont consacrées, la metteuse en scène fait le choix du patchwork. Se saisissant d’un fil et d’une aiguille, elle tisse ensemble les mots lus et aimés. Ceux de Shakespeare, bien sûr, mais aussi ceux d’écrivains tels que Tchékhov, Yeats ou Kerouac. Assumant jusqu’au bout cet éclectisme, la forme même du spectacle joue avec les codes théâtraux. De la tragédie au vaudeville, l’équipe d’acteurs amuse les spectateurs en interprétant les personnages clichés des différents genres.

Au départ il y a Diane. Hybride d’Hamlet et de Cordélia, elle est le personnage tragique par excellence. La violence coule dans ses veines, nous prévient-elle d’emblée, comme si la guerre faisait partie de son intimité. Cette violence prendra la forme de la vengeance : nourrie de peur et de colère, elle part affronter son père tenu pour responsable de la mort de sa mère. C’est sur une île paradisiaque, entourée des autres membres de sa famille, qu’elle le retrouvera. Elle est attendue : le vieux manager emboîte le pas à ce pauvre Lear en voulant séparer son "royaume" entre ses trois filles.

La suite de l’histoire on la connaît : la question de l’amour filial, l’hypocrisie, les déchirements, les jeux de pouvoir, la mort.

Et l’amour alors ? Certes, rencontre amoureuse il y a. Mais celle-ci a-t-elle réellement la force de changer le destin des protagonistes ? J’avoue ne pas avoir vu cet amour annoncé comme pouvoir rédempteur. Je n’ai pas senti la puissance bouleversante de l’amour, conduisant inexorablement à la remise en question de ce qui jusque-là allait de soi.

Pour que le spectateur puisse accueillir une telle proposition, il aurait fallu lui en donner les moyens, c’est-à-dire développer un horizon d’attente adéquat. Or, l’ensemble de la pièce semble reposer sur le second degré. Les acteurs caricaturent les personnages-types qu’ils incarnent. Le ton est parodique et les postures volontiers stéréotypées. Cette surdramatisation sert souvent le propos et permet au spectateur contemporain de découvrir les grandes figures du répertoire sous un autre angle. Ainsi, avec son ton exagérément tragique, son continuel énervement pathétique, Emilie Maquest donne à voir un personnage complètement en porte-à-faux avec l’époque contemporaine et les préoccupations futiles des autres protagonistes qui ne peuvent qu’hausser les épaules en déclarant "elle est marrante, la petite". Aussi rien d’étonnant à ce qu’on ne puisse pas la prendre au sérieux quand elle tombe amoureuse. La distance ironique a pris toute la place et l’émotion ne parvient pas à arriver jusqu’à nous. C’est dommage car à de nombreux moments, l’on aurait aimé se laisser prendre, on sentait l’émotion toute proche, on la sentait possible.

Mais comment la laisser advenir tant que Diane pousse "ses jérémiades entre deux palmiers" pour nous faire marrer ?

Karolina Svobodova