Shahada

Bruxelles | Théâtre | Théâtre de Poche

Dates
Du 13 septembre au 1er octobre 2022
Horaires
Tableau des horaires
Théâtre de Poche
Chemin du Gymnase, 1 A 1000 Bruxelles
Contact
http://www.poche.be
reservation@poche.be
+32 2 649 17 27

Moyenne des spectateurs

star-offstar-offstar-offstar-offstar-off

Nombre de votes: 0

Shahada

Peut-être que durant toute notre vie nous cheminons avec plusieurs êtres en nous, qui tantôt s’affrontent tantôt se mettent d’accord. Nous portons en nous un peuple. (François Cervantes)

Fida Mohissen est Syrien. Il débarque à Paris à 23 ans et s’y installe. Fida -46 ans aujourd’hui-, est un mec qui a le cul entre deux chaises ; celle de l’Islam dont il respecte jusque-là scrupuleusement les préceptes et celle de sa nécessaire émancipation. Celle d’une vie strictement conçue comme un chemin vers l’au-delà ou celle d’une vie dédiée à l’amour où le chemin possible vers le sacré serait dans la relation à l’autre.

C’était un documentaire sur les victimes du Zero Nine Eleven, ça défile, des visages, des gens, parents des victimes, femmes des victimes, enfants des victimes, des SMS, des « je t’aime maman »… Mes larmes se sont mises à tomber. J’espérais me réveiller et me dire : Ouf Alhamdulillah c’était un cauchemar… Un Dieu ne peut pas commander ça, Le Dieu qui a commandé ça n’est pas mon Dieu.

Shahada se traduit ainsi : « être présent, être témoin, attester ». Dans le spectacle éponyme, le Fida d’hier et celui d’aujourd’hui mènent une âpre partie d’échecs. Un combat cruel entre l’enfant et l’adulte, duquel la réconciliation paraît impossible. A moins que…

Laissez nous un avis !

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
    Se connecter
Votre message

Mercredi 14 septembre 2022, par Didier Béclard

La force de l’aveu

Dans « Shahada », Fida Mohissen dialogue avec lui-même, plus jeune. Abordant le sujet de la radicalisation mais aussi celui de l’amour de la foi, il évoque le tiraillement entre l’Islam dont il respecte jusqu’il n’y a pas si longtemps scrupuleusement les préceptes et sa nécessaire émancipation.

« Je suis venu vous parler, cela ne va pas être facile ».

Fida Mohissen est Syrien. Il a 50 ans, dont 26 passés en Orient et 24 en France. Seul sur une scène totalement dépouillée, il explique qu’il a jadis été choqué par un commentaire de Michel Houellebecq sur l’Islam au point de souhaiter sa mort, seule « punition qui pourrait éteindre le feu dans sa poitrine ». Selon lui, en Orient on accepte la religion de l’autre alors qu’en France railler une religion est banal. Mais le temps a passé et quand il parle de lui, il parle de quelqu’un d’autre.

Il sort de scène pour aller chercher une chaise et revient avec son moi jeune (Rami Rkab). Ils s’installent tous les deux et le Fida d’aujourd’hui raconte qu’il a retrouvé ses carnets de jeunesse mais ne s’y reconnaît pas. Le Fida du passé lui rafraîchit alors la mémoire.

En 1974, il a trois ans et demi, sa famille s’installe à Beyrouth Ouest, au Liban dont elle est chassée par la guerre civile. Il retourne alors en Syrie. Son père avait une grande pièce pleine de livres dont il mettra dix ans à venir à bout. Il dispose alors d’une connaissance religieuse et d’une aisance en arabe. Il veut faire du théâtre mais sa colonne vertébrale reste l’Islam. Or le théâtre est haram, interdit par l’Islam.

La découverte de la langue française constitue un autre choc pour le jeune homme qui passe son Bac en 1989. L’année suivante il se rend à Paris pour s’inscrire dans un cursus de génie électrique. Il rentre à Damas pour préparer le grand départ mais le déclenchement de la première guerre du Golfe – l’Irak envahit le Koweït – provoque l’annulation de son inscription. Il investit alors le département de littérature de la Faculté des Lettres de Damas.

A ce moment, il est persuadé que tous les Occidentaux veulent la destruction de la civilisation arabe et de l’Islam. Lors des attentats du 11 septembre 2001, il crie « Allahou Akbar » et déplore qu’il n’y ait que 3.000 victimes. L’année suivante, il découvre un reportage sur les victimes du Zero Nine Eleven. Il est bouleversé par le visage des parents des victimes qui s’expriment. « Un Dieu ne peut pas commander ça, le Dieu qui a commandé ça n’est pas mon Dieu. » Il y aura un avant et un après.

Et c’est la confrontation entre le jeune Fida qui respecte scrupuleusement les préceptes de l’Islam et le Fida actuel qui aspire à l’émancipation et à l’amour qui constitue la trame de « Shahada ». Ce mot signifie être présent, être témoin. C’est à la fois le témoignage, la profession de foi musulmane, premier pilier de l’Islam et le martyr, « témoigner de sa foi par la mort ».

En écrivant et présentant ce monologue à deux voix, qui constitue à ses yeux également un aveu, Fida Mohissen espère éviter à d’autres jeunes de perdre, comme lui, 30 années de leur vie enfermés dans un dogme. Le propos centré sur son seul auteur peut sembler égocentrique mais il tend pourtant vers l’universel lorsqu’il exprime le fait que l’Islam rigoriste est une prison dont on peut s’extraire.

La mise en scène est épurée au maximum, pas de décor, seuls deux chaises comme accessoires et la salle reste même éclairée pendant quasi toute la pièce. Le metteur en scène voulait en effet garder l’essentiel : la parole comme acte en tant que tel et le contact avec le public. « Mon travail de mise en scène, explique François Cervantes, c’était de ne pas en faire, d’enlever contrairement à ce que l’on fait d’habitude. Ne garder que le témoignage pour le pas le dénaturer, ... ».

Didier Béclard

« Shahada » de et avec Fida Mohissen, avec Rami Rkab, jusqu’au 1er octobre au Théâtre de Poche à Bruxelles, 02/649.17.27, www.poche.be.

Théâtre de Poche