Samedi 8 février 2020, par Jean Campion

Seul mais épaulé par le groupe

Dans "Liebman renégat" (2015), Riton (Henri) revivait ses rapports tendres mais compliqués avec son père. Pas facile d’être le fils de ce brillant professeur, Juif de gauche qui défendait la cause palestinienne. "La Vedette du quartier" (2016) revenait sur ses rêves de gloire et ses cruelles désillusions. "Soissons dans l’Aisne", troisième volet de cette "thérapie comique", reflète la cure de désintoxication, qui lui a permis d’échapper, il y a vingt ans, à l’enfer de la drogue. D’abord roman (pas édité), ce témoignage est devenu un seul-en-scène, où l’acteur-auteur raconte son combat avec humilité, autodérision et une sincérité impressionnante.

Riton ne cavalait plus derrière les dealers, mais tous les matins, il entrait dans une pharmacie pour acheter une boîte de Néocodion. Un médicament contre la toux, mais également un produit de substitution à l’héroïne. En ventre libre, à moins de trois euros. En vue d’un voyage avec Dominique, dont il était très amoureux, il stocke une bonne trentaine de boîtes. Elle découvre son addiction. Il a beau mentir, sacrifier ses provisions, elle coupe les ponts. Malgré le scepticisme de son pharmacien, il espère redevenir clean et la reconquérir, en entamant une cure de désintoxication au Centre Apte, à Bucy-le-Long. Une vie monacale, dans un bled à six kilomètres de Soissons, pendant cinquante-six jours ! Les premières nuits sont atroces. Incapable de trouver le sommeil, il erre dans les couloirs de ce château des Ruisseaux. Comme un fantôme.

Moments importants de journées bien rythmées : les deux séances de groupe, encadrées par des thérapeutes. On ne se réunit pas pour défendre un avis, mais pour écouter les autres, raconter sa vie et partager des émotions. Riton se livre difficilement. En blaguant, on lui reproche de "faire l’acteur". Parlant d’égal à égal, avec des compagnons de combat, qui souffrent de la même dépendance, il s’en rapproche. C’est avec humour, bienveillance et lucidité qu’il décrit le parcours de plusieurs drogués. Sans nous apitoyer sur leur sort souvent tragique ni masquer leur inconséquence ou leur lâcheté, il laisse apparaître leurs fêlures et regrette l’indifférence de certaines familles.

Lors d’une visite, Riton constate que les thérapeutes, confères de sa mère, l’intéressent davantage que lui-même. Pas de rancoeur : l’argent de son héroïne, il le piquait dans son sac ou dans les poches de ses patients. Devenu le plus ancien du groupe, il freine son impulsivité, pour accueillir les nouveaux curistes, avec le tact de "La Tige". Sa gratitude l’incite à rendre ce qu’on lui a donné. Au bout de cinquante-six jours d’abstinence, la honte a disparu. Il peut reprendre son sac et repartir du bon pied... Sur la place devant la gare, une lumière verte l’attire. S’il résiste à la tentation, c’est à cause du groupe. Cependant la bataille n’est jamais complètement gagnée. Les "Narcotiques Anonymes" restent un bouclier très utile.

Riton Liebman réussit à nous raconter cette cure exigeante et pénible, sans plomber l’atmosphère. En misant sur sa franchise et son goût de la dérision. Il se moque de son arrogance. Alors qu’il s’attendait à fréquenter de brillantes célébrités, il se retrouve au milieu de "vieux débris". Son empathie grandissante pour ces paumés ne bride pas son ironie. On rit des déboires de "Beau Daniel", piégé par son succès auprès des femmes ou du physique ingrat de Céline la "première de classe". Alternant confidences au public et reconstitutions de scènes marquantes, le comédien se glisse parfois dans la peau d’un de ses compagnons. Samir nous touche par son désir d’évasion et son attachement à sa mère. La drogue est un poison mortel. "Il fallait que je le comprenne par moi-même.", affirme Riton Liebman. "Soissons dans l’Aisne" montre que le groupe était indispensable pour atteindre cet objectif.

Jean Campion