Lundi 19 septembre 2016, par Jean Campion

Rêver de pirates et découvrir la vie

C’est devenu une tradition. Depuis 2011, le théâtre du Parc ouvre sa saison par un spectacle grandiose, qui fait vibrer plusieurs générations. Cette année, épaulé par une équipe fidèle et efficace, Thierry Debroux met en scène "L’île au trésor". Une oeuvre qui, durant son enfance, l’a fait rêver et voguer sur les océans. En l’adaptant, Thierry Janssen y a glissé de la magie, de l’humour et a renforcé le rôle initiatique du roman de Robert-Louis Stevenson. Pour apprendre à voler de ses propres ailes, Jim Hawkins doit quitter le cocon familial et affronter les dangers de la vie.

Dans l’auberge "L’Amiral Benbow", tenue par sa mère, le jeune Jim Hawkins est fasciné par les histoires que lui raconte Billy Bones, entre deux goulées de rhum. Ce vieux loup de mer protège jalousement un coffre mystérieux. En vain. Maudit par la "tache noire", il meurt d’apoplexie. En ouvrant le coffre, Jim et sa mère découvrent de l’or et, enroulée dans une toile cirée, une carte conduisant au trésor du capitaine Flint. Attaqués par des brigands, ils sont sauvés grâce à l’intervention victorieuse du chevalier Trelawney. Celui-ci , très intéressé par la carte, décide d’affréter un bateau et propose à Jim de participer à cette chasse au trésor. Enthousiasme de l’ado, effroi de la mère-poule. Elle accepte finalement que son fils s’embarque sur l’Hispanolia, s’il est accompagné par le docteur Livesey, un ami de la famille.

Trealawney peut compter sur son second Mike Arrow, mais se méfie du reste de l’équipage. Des marins braillards, indisciplinés, querelleurs, recrutés par Long John Silver. Ce cuisinier à la jambe de bois, qui a baptisé son perroquet Capt’ain Flint, n’est pas monté à bord, uniquement pour s’occuper de tambouille... Le quai de Bristol s’éloigne. Et nous voilà propulsés dans le ventre du galion. Le scénographe Ronald Beurms nous le montre en coupe, du pont supérieur à la cale. Au coeur de l’action, nous vivons une traversée tumultueuse. D’abord une tempête éprouvante. Puis beuverie, mutinerie, punition exemplaire, crime déguisé en accident, prise d’otages soulignent l’âpreté de la lutte entre les rebelles de Long John Silver et le commandant Trelawney.

L’ombre des "Pirates des caraïbes" plane sur cette première partie. Dans la seconde, l’adaptation s’écarte davantage du roman de Stevenson, en privilégiant la fantaisie. C’est la sorcière Mama Brigit qui mène la danse. Sa voix éraillée, son accoutrement bizarre et son amie, la tarentule, suscitent la peur. Mais cette obsédée du fromage apparaît vite comme une bonne fée, utilisant ses pouvoirs magiques pour nous amuser. Qu’elle se transforme en GSM ou qu’elle impose au docteur Livesey un numéro de contorsionniste. Du sur mesure pour l’élastique Othmane Moumen. Des clins d’oeil à Hamlet ou aux machines à sous confirment le choix d’un ton décalé. Passionné d’aventures, Jim Hawkins se sent un moment dépassé par la violence et la duplicité des chercheurs d’or. Cependant, soutenu par Livesey, par Blanche (alias Moustique), dont il est tombé amoureux et même par Long John Silver, il triomphe de ses ennemis et renonce aux fausses valeurs. Julien Besure vit cette évolution avec naturel.

Auteur de "Dr. Jekyll et Mr. Hyde", Stevenson aime créer des personnages ambigus. Vantard, poltron, le docteur Livesey joue les anges gardiens à contrecoeur. Il s’y résout sous la pression de Trelawney, qui le menace de révéler sa lâcheté. Mais sincèrement attaché à Jim, dont il a un peu remplacé le père, il est prêt à se sacrifier pour le sauver. Tout le contraire de Trelawney. Ce chevalier semble défendre la loi et prendre sous son aile le jeune Hawkins, alors que son seul mobile est la cupidité. Il ira jusqu’à mettre sur la paille la mère du héros. Sous la dégaine du pirate à la jambe de bois, Angelo Bison nous fait sentir que ce manipulateur rusé, impitoyable, cynique éprouve parfois des élans paternels.

Bien sûr, cette complexité n’est pas l’atout majeur de cette "île au trésor". On applaudit avant tout un spectacle remarquablement maîtrisé. La scénographie ingénieuse, les costumes suggestifs, la chorégraphie des combats, les gravures animées nous en mettent plein la vue. Et une quinzaine de comédiens talentueux impriment à cette histoire pleine de rebondissements, un rythme endiablé.

Jean Campion