Mercredi 23 décembre 2015, par Jean Campion

Résiste !

"C’est en prenant des routes de traverse que j’ai continué à avancer." Le parcours de Claude Semal est atypique. A 20 ans, il renonce à la chanson et à la comédie pour devenir "militant professionnel" à l’hebdomadaire "POUR". Dans les années 80, retour à la scène, plutôt balbutiant. Et puis "Odes à ma douche" triomphe au Printemps de Bourges 1986. Plus de 300 représentations, Eve des Variétés 87. Depuis ce coup de force, il enchaîne disques et spectacles, qui reflètent différentes facettes d’un artiste inclassable : clown triste, trublion goguenard, "belgicain" révolté, écorché vif. En reprenant "Odes à ma douche", Claude Semal montre qu’il est resté fidèle à lui-même.

Vapeur de hammam... Bribes de chansons joyeuses... On ressent l’euphorie d’une douche relaxante. Sourire aux lèvres, le chanteur, tout nu, s’approche du micro et, en se rhabillant, vante les mérites de l’amour self-service. Face au miroir, il traque ses comédons, "les lâches qui se cachent pour mûrir" comme "les durs incrustés qu’on torture sans succès". Rien de provocant. Cet homme profite simplement de son intimité. Le ton se durcit, quand il s’arme d’une guitare, pour évoquer le sort graisseux de "la jeune fille de la friture". Le spectacle oscillera constamment entre comique appuyé et émotion retenue. Déguisé en poulet surgelé, dans son sac plastique de frigolite ou juché sur les seins bleus d’une baleine, le comédien-chanteur défend la cause écologique. Des images loufoques, surréalistes qui s’effacent devant la sobriété poignante des "Cheveux noirs".

Claude Semal passe subtilement de la compassion à l’ironie grinçante. Il nous attendrit en nous racontant le pèlerinage dominical de "ces veuves de personne, qui pleurent les clebs de tout l’monde" au "Cimetière des chiens". Et puis, au détour d’une anecdote, il nous dévoile le rêve d’une autre petite vieille : disposer d’un berger allemand comme garde du corps. Bien avant "Bye Bye Belgium", Semal fulminait contre la mort annoncée de la Belgique. "Noble B" est un cri de colère contre l’apathie des Belges, vautrés dans leur confort. On encaisse critiques acerbes, ton virulent, interprétation rageuse, comme des coups de poing. Mais Claude nous rassure : "Faut pas croire tout ce qu’on dit dans les chansons."

Faut pas non plus espérer que toutes les chansons sont réussies. En jouant le bouffon du roi, Claude Semal s’embourbe dans le texte laborieux de "Majesté". Par contre, "Devenir vieux" est un petit bijou, où s’expriment sa mélancolie et sa sensibilité à fleur de peau. La mise en scène efficace de Charlie Degotte lui permet d’enchaîner souplement les chansons. Mais elle l’isole du public, qui hésite à interrompre l’action par des applaudissements. Soudain, le comédien sort de sa salle de bain, pour se confier aux spectateurs. Un lieu plus intime aurait peut-être favorisé cette complicité.

A l’écoute de son coeur et de l’évolution de la société, Claude Semal incarne des valeurs, qu’il défend âprement. Depuis des décennies, ce zinneke a mal à sa Belgique et lutte contre sa déliquescence. Certaines chansons d’"Odes à ma douche" prennent aujourd’hui une résonance particulière. Comme "Ma nouvelle carte d’identité", qui ridiculise les obsédés de l’autodéfense ou "Mon copain Kamel" qui se termine sur ce constat :
"On parle du Coran, de la crise, de cette chanson que j’écrirai pour lui.
Puis on ne dit plus rien car on sait qu’on vit coincé entre Le Pen et Komeyni."

Courez voir ou revoir ce chanteur adepte de l’autodérision, qui échappe à l’usure du temps.