Lundi 8 avril 2019, par Palmina Di Meo

Rencontre avec Sarah Lefèvre, Les enfants du soleil

Sarah Lefèvre reprend avec force et finesse le rôle Liza dans la pièce de Gorki « Les enfants du soleil » mise en scène par Christophe Sermet. Ὰ voir aux Martyrs jusqu’au 13 avril.


Ce n’est pas la première fois que tu travailles avec Christophe Sermet…

Sarah Lefèvre : La première fois c’était en 2015 pour « Vania » où je tenais le rôle de Sonia, la jeune nièce de Vania.

Lors du travail sur Vania, il avait déjà planifié de monter Gorki dont l’écriture est influencé par Tchekov.

Sarah : Vania et Les enfants du soleil forment un dyptique. Il voulait aussi continuer le travail avec Natacha Belova pour la traduction et l’adaptation du texte. Il y a un travail sur la langue qu’il cherche à rendre la plus actuelle possible de manière à ce qu’elle résonne aujourd’hui.

Avoir choisi une pièce qui se situe à un point charnière de l’histoire russe et la jouer aujourd’hui. Ce texte trouve-t-il un écho à l’heure actuelle ?

Sarah : Il y a dans les prémisses de cette révolution des éléments qui sont très actuels. Les questions que l’on peut se poser sur l’artiste, son rôle dans la société par exemple.
Avec les gilets jaunes, on voit que se pose la question de l’acceptation des changements.

Comment le texte aborde-t-il la question du rôle social de l’artiste ?

Sarah : Le personnage d’Éléna prône que l’artiste doit être au service de l’humain. Tout en aidant à vivre par la beauté, il doit inciter les autres à prendre conscience de leurs sentiments alors que Vaguine, l’artiste, n’en a rien à faire de ce que les autres pensent. Il crée pour lui seul. Je pense qu’il est juste de soulever la question dans nos sociétés qui sont devenues narcissiques.

Et le jeune scientifique ?

Sarah : Lui, il veut faire évoluer le monde par la chimie. Pour lui, la science peut vaincre la misère. Et mon rôle, en contrepartie, est de dire : « Il faut cesser de parler et de rêver. Il faut descendre dans la rue et aider les gens. Il faut agir immédiatement car la situation est critique.

C’est le message de Gorki ?

Sarah : Gorki a vu les gens dans la rue, il a vu la haine, la violence qui sourdait, les gens enragés et la jouissance de se détruire et c’est ce qu’il a voulu mettre dans les yeux de Liza.

Dans la pièce, le cholera est-il un signe de l’urgence des changements dans la pièce ?

Sarah : La pièce a été écrite en 1905 alors que Gorki était enfermé à la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg juste après la Révolution. Le choléra a été la prémisse de toute la misère à l’origine de la Révolution.

Comment as-tu travaillé le personnage de Liza ?

Sarah : J’ai travaillé sur base de la proposition de Marie Bos qui était une proposition très forte et très juste. Je me suis calquée sur elle tout en adaptant à ma personne. C’est un personnage hyper-sensible par rapport à son environnement. Elle est le lien entre deux mondes, celui de la rue et le monde protégé dans lequel elle vit. Elle est la seule à voir les choses arriver et elle essaye de prévenir son entourage, de leur ouvrir les yeux sur les problèmes de pauvreté et la violence qui monte. Mais elle n’est pas écoutée. Le rôle me plait beaucoup. C’est un cadeau de pouvoir jouer ce personnage puissant et sombre aussi. Je trouve qu’on se rend vite aveugle de ce qui se déroule dans la rue. Les choses sont visible mais on a vite tendance à se mettre des œillères et ce que j’aime au théâtre, c’est de pouvoir interpeller.

Christophe Sermet a la réputation de laisser beaucoup de liberté aux comédiens… Qu’est-ce qui te plait sans le travail avec lui ?

Sarah : Le travail commence par des discussions autour de la table. Au cours des lectures, on se rend compte de ce qu’il veut faire passer dans le spectacle, les angles de vue. Lors du travail sur le plateau, sur base de nos propositions, il nous emmène là où il veut. Ses idées sont très claires et réfléchies. C’est aussi un très bon directeur d’acteur qui se met à la place du comédien. Il voit de suite les questions que l’on se pose. Ce qui me plait dans ses choix de mise en scène, c’est le mélange d’intime et de réflexion sur la société. Le questionnement renvoyé au public sur notre mission en tant qu’être humain. Pour ce rôle que j’ai repris, nous avons travaillé pendant un peu plus d’une semaine avec Christophe et l’équipe mais je m’étais préparée au moyen d’une captation du spectacle en essayant de trouver en moi ce que je pouvais délivrer comme crise d’angoisse, comme nervosité et parfois aussi comme méchanceté mais toujours non gratuite.

La mise en scène est frontale. On a l’impression d’un décor dans le décor où l’action se passe aussi dans un arrière-plan de la scène moins visible…

Sarah : C’était déjà le cas pour Vania. Le public devient ainsi un miroir. C’est aussi une manière d’interroger le public

La pièce a énormément de succès. Ce qui plait au public c’est cette franchise des propos, le fait que les personnages, de manière insolite, se livrent sans retenue ?

Sarah : Oui, ils sont sans détours. « Je t’aime », « Je ne t’aime pas ». Ils s’avouent tout de manière très concrète. Et c’est très peu conventionnel.

Tu as travaillé en tant que comédienne pour le cinéma. Que préfères-tu, le théâtre ou le cinéma ?

Sarah : J’aime beaucoup les deux. Pour créer un rôle au théâtre, je vais me documenter sur le contexte, sur les mises en scène qui en ont été faites, sur l’auteur. Puis, il y a l’intégration du personnage en 5/6 semaines. Et ensuite, le rapport au public qui n’existe pas au cinéma et qui pour moi est très riche car c’est là qu’on apprend comment continuer à travailler. Au cinéma, tout se fait dans l’instant. Il y a peut-être un dialogue sommaire avec le réalisateur ou la réalisatrice et de suite le tournage arrive à une vitesse souvent fulgurante. Il y a moins d’espace pour la réflexion, la préparation. Ce qui est le plus difficile au cinéma, c’est que notre travail s’arrête à la prestation. Nous n’avons rien à dire en ce qui concerne le montage qui entre pour beaucoup dans la structure du film. Cela ne nous appartient plus. Mais ce que je trouve très beau au cinéma, c’est la possibilité rendre des émotions intenses en faisant le moins possible alors qu’au théâtre, il faut que le dernier spectateur puisse ressentie les nuances. Mais les deux sont riches et je ne pourrais pas choisir entre l’un et l’autre. J’aimerais faire plus de cinéma d’ailleurs.

Tu travailles déjà un prochain rôle ?

Sarah : Oui je répète actuellement pour un spectacle qui va se jouer au Varia en début de saison prochaine. Il s’agit d’une adaptation de cinq films de François Truffaut dans lesquels il retrouve le personnage d’Antoine Doinel et qui est mis en scène par Antoine Lubin, un grand fan de Truffaut et adapté par Antoine Lubin et Thomas Depryck. Mon rôle est celui de la femme d’Antoine Doinel, Christine Darbon.

Qu’est-ce qui intéresse Antoine Lubin dans le personnage d’Antoine Doinel ?

Sarah : C’est quelqu’un qui fuit le monde dans lequel il vit et qui en même temps parle à beaucoup de gens. Et puis on traverse des périodes différentes de la vie, l’enfance, la rencontre amoureuse et les questions que l’on se pose sur le mariage, le désir d’enfants. Il y a le rapport son rapport à son travail aussi qui est très intéressant…

Propos recueillis par Palmina Di Meo