Jeudi 24 octobre 2019, par Palmina Di Meo

Rencontre avec Émilie Maréchal-Pattern

Émilie Maréchal et Camille Meynard interrogent la relation père/enfant dans un spectacle/performance déambulatoire où chaque spectateur se joue sa propre histoire. Ils le font avec tendresse, humour et originalité en mettant le spectateur au défi de s’impliquer.

Avec « Pattern », nous sommes dans une forme théâtrale, une performance, une installation, un spectacle immersif, tout cela à la fois ?

Oui le public est complètement immergé. Cela débute par une déambulation libre sur le plateau pendant une quarantaine de minutes où il a accès à 3 patterns qui tournent en boucle. Il se fait ainsi son propre voyage d’espace en espace. À l’issue des 40 minutes, il se retrouve sur des gradins en mode frontal avec la scène.
On a voulu un spectateur en marche, actif, tout comme Camille et moi l’avons été en pendant toute la période de création, de recherche où on a réalisé un grand nombre d’interviews.
On a rencontré beaucoup de gens qui nous ont parlé de leur papa, dans des homes, ou avec des adolescents, des sportifs, bref des profils très différents.
Nous sommes allés à la recherche d’histoires et on a voulu que le spectateur soit lui-même dans cette démarche vers les histoires.

Dans toutes ces histoires, vous avez effectué des choix. Qu’avez-vous privilégié ?

C’est vrai qu’on a travaillé sur des périodes charnières de la relation père/enfant. Cela commence par le moment où l’enfant fait tomber son père pour être celui qui avance à son tour. On a rencontré un adolescent qui voulait devenir un grand champion de boxe thaïlandaise comme son père. Mais il se rend compte que son père n’est peut-être pas un aussi grand champion qu’il le prétend. Du coup il fait tomber son père littéralement, il le voit chuter devant lui.
La première rupture pour un adolescent, c’est quand le père n’est plus un mythe mais un homme avec des failles qui tombe de son piédestal.
Il y a une deuxième rupture quand les rapports s’inversent et que l’enfant prend soin de son père malade.
La troisième, c’est la mort du père et ce qui reste de lui. Pour aller alors vers une dernière histoire, celle de l’apaisement par rapport à la figure du père. Avec Camille, on s’est rendu compte en interviewant des personnes de 75 ans et plus, jusqu’à 102 ans, qu’à cet âge-là les conflits sont apaisés.
On a voulu terminer par une histoire où c’est un monsieur de 75 ans qui raconte une histoire avec son père.

C’est Simon André, qui est extraordinaire dans le rôle...

Il est incroyable ! On est tombés amoureux de cet homme aux yeux très clairs. On voit en lui l’enfant qu’il a été et en même temps, il est l’homme de 75 ans qui a digéré les conflits.

C’est son histoire personnelle ?

Non, c’est l’histoire de mon père qu’il raconte mais il est tellement doué qu’on a l’impression que c’est sa propre histoire.

Pourquoi la relation père/enfant et pas mère/enfant ?

On a choisi cette relation spécifique parce que mon père commençait à avoir des problèmes de santé et que j’avais envie de travailler à partir de là. Mais la relation au père nous intéresse car dans les archétypes familiaux le père est celui qui sépare l’enfant du cocon familial alors que la mère est celle qui rassemble. Et ce qui nous intéressait, c’était les ruptures. On a travaillé ensemble avec Camille à peu près 3 ans et demi. Tous les patterns, toutes les histoires se sont construites progressivement.

Camille Meynard est cinéaste et il y a des parties filmées dans le spectacle. Vous aviez déjà collaboré précédemment. Avez-vous l’habitude de travailler à partir de votre vécu ?

C’est la première fois mais comme on est parti du documentaire, on s’est dit que la première chose à faire était d’interviewer nos propres pères. On a recueilli en Skype des anecdotes venant de nos pères qui habitent en France. On a appris des choses que nous ignorions !
Ensuite on a étoffé avec la parole d’autres enfants. Camille venant du cinéma et moi du théâtre, il a été agréable de travailler à deux aussi bien à la réalisation des films qu’à l’écriture ou à la mise ne scène, ce qui nous a permis d’apprendre mutuellement de nos deux corps de métier. Le fait de travailler en binôme a permis de confronter des points de vue, ce qui s’est avéré positif.

Vous avez donc construit 5 plateaux où les gens passent à leur rythme de l’un à l’autre.

Oui c’est une forme particulière qui peut être déconcertante car elle est plus proche d’un parcours que l’on pourrait imaginer dans une exposition. Mais c’est ce que nous voulions. Un spectateur qui attend juste qu’on lui donne quelque chose à voir ou à entendre, cela m’intéresse de moins en moins. C’est une démarche qui relève de la performance et de l’installation.

N’est-ce pas déstabilisant pour les comédiens ?

Oui mais j’ai l’impression que c’est aussi très agréable. On a cherché cette proximité entre les performeurs/acteurs et les spectateurs. Du coup on voit les corps qui transpirent, en action... On voulait cette intimité -là... Et qui fait qu’on se le prend en pleine face !

Comment réagissent les spectateurs dans un tel cadre ?
Il y a des réactions assez fortes auxquelles je ne m’attendais pas, surtout de la part d’adolescents. J’en suis étonnée car je pensais que la forme allait intimider les adolescents. Mais ils en sortent touchés, remués. Parler du père de cette façon les questionnent, ils viennent me poser des questions après le spectacle, certains sont en larmes.
La forme les prend d’autant plus aux tripes.

Propos recueillis par Palmina Di Meo