Mardi 1er mai 2018, par Palmina Di Meo

Rencontre avec Dominique Serron

Pour les 30 ans de l’Infini Théâtre, Dominique Serron avait envie mettre en scène un spectacle sur la jeunesse et pour la jeunesse. L’idée d’associer « Le Sacre du printemps » de Stravinsky et « L’éveil du printemps » de Frank Wedekind trottait dans sa tête depuis longtemps.
Cela donne aujourd’hui « Le sacre et l’éveil », un spectacle pluridisciplinaire, une explosion d’émotions et de vie.

Dominique, qu’est-ce qui émerge de ce spectacle ? Quel est l’enjeu pour les jeunes ?

Dominique Serron : « C’est la question de la quête de soi. Je pense que l’identité absolue n’existe pas même en tant qu’adulte - on ne peut être que dans un battement identitaire. Même si aujourd’hui, on sait un peu mieux ce qu’on désire, on n’est pas pour cela qu’on peut l’avoir.
Le droit d’être, oui, on nous le donne. Mais au-delà de l’être, il y a l’existence et dans notre monde, ce n’est pas évident d’avoir le droit à l’existence.

Quelle est le fond narratif de la pièce ?

Dominique Serron : Ma version de l’histoire est celle d’un Melchior qui a 35 ans. Cinéaste, il revient sur les lieux de sa jeunesse. Il cherche à cicatriser ses blessures. Son adolescence a été marquée d’événements malheureux. La perte de son meilleur ami qui s’est suicidé. Il retrouve le cimetière où il a enterré son premier amour. Enceinte, la jeune fille avait été obligée d’avorter par ses parents. Après avoir écrit un traité sur le coït à l’adresse de son ami, il est envoyé dans une maison de correction. Ce texte a beaucoup parlé aux jeunes auxquels nous l’avons proposé.
Wedekind n’a pas écrit une pièce sur la sexualité. Il a simplement eu le courage de dire que la première expérience passe par le désir à une époque à tous les personnages sont bloqués dans les convenances.

Des lycéens ont eu l’occasion de participer au spectacle, notamment par un travail de création vidéo...

Dominique Serron : Les jeunes utilisent constamment leur portable pour se filmer. Nous leur avons laissé cette liberté de s’auto-filmer à l’abri des regards. Nous n’avons pas pu intégrer toutes les vidéos dans le spectacle mais un film sera ultérieurement réalisé en collaboration avec « Sur les planches », une initiative de la Communauté française. On a commencé le travail en mettant sur pied des ateliers dans de multiples écoles. Le jeunes ont tellement aimé le texte de Wedekind et la musique de Stravinsky. On a organisé des rencontres avec des profs géniaux qui ont suivi le projet.
J’ai l’habitude de leur dire que le monde est à nous. Que l’on peut utiliser tous les outils, toutes les langues. Dans un premier temps, il y a eu des poèmes en écriture automatique en écoutant le texte qui ont été suivis de discussions et ensuite, je leur ai laissé le champ libre pour des créations qui forment le non verbal du spectacle, on va l’appeler comme cela. Ces petits films apportent une dimension poétique. On les a montés en un amalgame de vidéos et de textes de Wedekind dans la traduction de Jacques de Decker, et j’insiste parce que je pense que je n’aurais pas compris la dramaturgie de la même manière sans cette traduction, que je me suis permise de retravailler.
Cela convient au texte de Wedekind dont l’écriture est kaléidoscopique, où le sens apparaît avec l’avancement de la narration avec beaucoup d’ellipses. Cette manière d’écrire était révolutionnaire à l’époque.
Il y a eu aussi Nadia Benzekri, la cinéaste qui a accompagné l‘expérience et s’est faufilée comme une petite souris pendant le travail. Les jeunes en ont oublié sa présence.

Comment la musique intègre-t-elle le texte ?

Dominique Serron : Je me suis rendue compte de la force du texte et en même temps, je sens un souffle tellurique et une force de la terre dans cette musique de Stravinsky et puis il y a dans la pièce de Wedekind une pulsion de mort mais qui demande aussi une pulsion de vie très forte. La musique est toute en chevauchements rythmiques. Je ne me sentais pas les compétences pour couper dedans même si la musique de Stravinsky est qualifiée de sauvage. J’ai donc rencontré une spécialiste, Line Adam, avec qui j’ai un projet futur « Les bonimenteurs », un spectacle sur Lorca. Elle compose des musiques de films. On a directement ressenti une sympathie mutuelle et un coup de foudre pour notre manière commune d’empoigner la création. Elle a aussitôt plongé dans Stravinsky et fait appel à un bassoniste belge (le morceau du basson dans « Le sacre » est une épreuve. C’est une partition tendue, pas écrite pour le basson et qui demande un coup de virtuose. Line a réécrit des structures aussi folles que celles de Stravinsky avec des moments de décalage entre le piano à 4 mains. Elle a agencé toute la structure musicale.

Quel est le message que véhicule le spectacle ?

Dominique Serron : J’ai ajouté au début une adresse au public. Je dirais que la fin rejoint un peu le début. Melchior dans le cimetière va croiser l’homme masqué, ce qui donne lieu à une scène assez burlesque (Wedekind se permet toutes les fantaisies). Et pour moi, l’homme masqué, c’est l’inspiration...

Propos recueillis par Palmina Di Meo